La reprise ? Oui mais ...

Michel Holtz

Adenclassifieds a réuni neuf professionnels du recrutement pour évoquer la reprise actuelle du marché de l'emploi. Si l'embellie est vérifiable pour certains secteurs, elle ne constitue, pour d'autre qu'un simple rattrapage de l'année désastreuse passée.

Huit entreprises, un expert et autant de secteurs différents. En les réunissant, Adenclassifieds a voulu aller au-delà des chiffres bruts, des statistiques nationales, et des sentences des économistes pour prendre le pouls de l'emploi et de sa reprise annoncée, auprès de ceux-là même qui sont au cœur du dispositif, qu'ils soient responsables des ressources humaines ou DG.

 

Et s'ils constatent tous un redémarrage des recrutements au cours de cette année 2010, tous modèrent l'enthousiasme que cette hausse peut susciter.

Comme Christophe Catoir, directeur général des opérations d'Adecco France qui rappelle que sur les 69 000 créations d'emplois nettes en France depuis le début de l'année, « 59 000 sont dues à l'intérim ».

 

Voilà qui relativise quelque peu la reprise annoncée. D'autant, que, comme le souligne le responsable d'Adecco, « la croissance des effectifs dans le secteur, constatée ces derniers mois, reste inférieure de 17 % à celle enregistré en 2007, avant la crise. »

 

Une situation en trompe l'œil, corroborée par Luc Greth-Merenda. Il est DRH du groupe Würth (commerce de gros), qui recrute, au cours de cette année, entre 400 et 600 personnes. « Mais 80 % des offres visent à compenser les départs ». Ce qui réduit d'autant les créations pures.

 

CDD, remplacements et contrats de franchise

 

Dans l'immobilier aussi, la relance de l'embauche est conditionnée par des événements très éloignés de la conjoncture économique.

 

Judicaël Osmond, en temps que responsable RH du groupe Citya, un réseau de cabinets de gestion de biens et d'agences immobilières, en sait quelque chose. « Nous sommes engagés dans une stratégie de croissance externe. Et l'intégration de nos 250 nouveaux collaborateurs est liée à ces acquisitions ». Mais il prévoit tout de même une centaine de véritables embauches cette année, et 130 l'an prochain.

 

Une situation en clair-obscur que constate aussi Cédric Postel-Vinay, DRH Europe du Club Med. Si l'activité de son entreprise se porte plutôt bien malgré la crise, il a néanmoins constaté une baisse notable du turnover légendaire de ses GO, qui restent dans l'entreprise, par peur de l'extérieur. « Nous recrutons néanmoins 2 000 personnes cette année, dont 90% en CDD saisonnier ».

 

Des durées déterminées liées à l'activité saisonnière des Clubs et du fait que « les saisons se sont raccourcies de 6 % depuis le début de la crise ». Des emplois non pérennes mais qui pérennise néanmoins l'emploi, puisque le Club Med maintient bon an mal an le même niveau de création de postes chaque année.

 

Dans le commerce de proximité, comme celui que développe Jean-Pierre Lanzetti, Dg de Casino proximité (Petit Casino, Spar, Vival, etc.), on se réjouit même de contribuer à la baisse du chômage. Même si la grande majorité des 700 emplois qu'il aura créé cette année ne sont ni des CDD, ni des CDI, « nous signons des contrats de franchise ou de gérants mandataires » qui ont même permis à xx demandeurs d'emploi en fin de droit de retrouver un job . Avis à tous ceux qui ont des âmes d'entrepreneurs, Casino Proximité propose un dispositif permettant de postuler même sans apport financier initial.

 

L'armée, le nucléaire et l'informatique : des secteurs qui recrutent.

 

Cette reprise en demi-teinte, ou cette crise latente, constatée par certains intervenants fait l'affaire des autres. Et notamment du général Benoit Royal. Il est sous directeur du recrutement de l'armée de terre et, chaque année, il doit trouver 15 000 nouvelles recrues. « Or, depuis deux ans, depuis le début de la crise, les candidatures affluent. » Quant à leur qualification, elles vont bien au-delà des espérances des forces terrestres. « Nous exigeons un minimum de Bac+2 pour les 450 officiers recherchés. Mais cette année, 42% d'entre eux étaient titulaires d'un Master 2. »

 

Mais l'uniforme n'est pas le dernier secteur refuge. L'ingénierie en est un autre, surtout lorsqu'elle est spécialisée dans l'énergie nucléaire. C'est l'un des domaines de conseil clés d'Assystem : « Nous avons déjà recruté 650 personnes en 2010 et comptons en embaucher 250 autres avant la fin de l'année, » détaille Eve Royer, la responsable RH d'Assystem. Des embauches qui sont, pour 90% d'entre elles, en CDI, à l'inverse du Club Med. Son problème ? Le manque d'attractivité du nucléaire en France.

 

Ce problème d'image est beaucoup moins sensible dans le domaine de l'informatique qu'Eric de Saqui de Sannes connaît bien. DRH de Sogeti, une société du groupe Capgemini, il est également l'un des représentants du Syntec Informatique, le syndicat patronal du secteur de l'IT. Qui affiche le sourire : « Nous enregistrons une progression des recrutements de l'ordre de 10% en 2010 ». Tout en rappelant que ce bon score arrive après une année 2009 plutôt difficile « au cours de laquelle 3 500 emplois ont été détruits ». L'embellie de cette année est tout aussi sensible dans sa propre entreprise qui a embauché 944 personnes. « Et rien qu'au mois de septembre, nous avons recruté 172 personnes, le chiffre le plus élevé depuis le début de l'année ».

 

Un solde positif de 10 000 emplois seulement

 

Cet optimisme, s'il est sincère pour quelques secteurs, ne présage en rien de l'avenir de l'activité économique de l'Hexagone dans son ensemble. Ce que Michel Ghetti, PDG de France Industrie & Emploi, a tenu à rappeler en relativisant les volumes de recrutement annoncés. Son cabinet est spécialisé en marketing des territoires, et participe aux démarches de revitalisation des bassins d'emplois et à l'accompagnement des restructurations. Pour lui, « la reprise du marché de l'emploi est due à un simple effet de rattrapage ». Un rattrapage qui permet de compenser les pertes subies en 2009. « Et qui vont produire pour cette année un solde positif de 10 000 emplois.»

 

Un résultat qu'il est difficile de qualifier de phénoménal, et qui ne saurait suffire à rendre durable le développement actuel du marché de l'emploi. D'autant que Michel Ghetti explique que l'une des raisons de cette reprise est liée au regain de l'activité automobile. Or, et on le constate depuis cette été, la fin des primes et des aides diverses allouées aux consommateurs risquent de faire rechuter ce secteur. Une raison de plus pour douter de la reprise durable du marché de l'emploi. Même si cette reprise est ardemment souhaitée par tous les professionnels réunis.

 

Autre article du dossier :

Une casse sociale limitée, et une reprise sur la pointe des pieds

 

Les participants au débat étaient :

 

  • ADECCO France : Christophe CATOIR, DG des Opérations ;
  • ASSYSTEM : Eve ROYER, RRH France ;
  • CASINO PROXIMITE : Monsieur Jean-Pierre LANZETTI, DG ;
  • CITYA : Judicaël OSMOND, Responsable Recrutement ;
  • CLUB MED : Cédric POSTEL-VINAY, DRH Europe ;
  • SOGETI et Représentant du Syntec Informatique : Eric DE SAQUI DE SANNES, DRH ;
  • WÜRTH : Luc GRETH-MERENDA, DRH ;
  • L'ARMEE DE TERRE : Général Benoit ROYAL, Sous Directeur Recrutement-DRHAT ;
  • FRANCE INDUSTRIE & EMPLOI : Michel GHETTI, PDG.

 

Michel Holtz
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