Les SSII : "des boîtes à viande" ?

Tiphaine Réto

Problème de management, manque de reconnaissance, isolement... Les informaticiens commencent à dénoncer les pratiques mises en place dans certaines SSII, comme l'atteste une récente étude de la Darès. Le stress au travail augmente. La grogne, aussi.

Ils étaient les bons élèves, qu'on imaginait faire leur métier par passion. Depuis quelques temps, pourtant, les informaticiens se rebiffent. En juin 2010, la publication d'une étude de la DARES sur les grèves et les négociations syndicales mettaient en évidence la grogne dans un secteur jusqu'ici peu habitué à manifester : « 2,5 % des entreprises de 10 salariés ou plus dont la convention collective principale relève des branches « bureaux d'études et prestations de services aux entreprises » ont connu au moins une grève ou un débrayage en 2008. Elles étaient moins de 0,5 % en 2007. »

 

Salaires, reconnaissance et conditions de travail

Les SSII dans le collimateur de leurs collaborateurs ? L'étude n'a pas réellement étonné Régis Granarolo, président du Munci : « Les principales revendications tournent autour des salaires, de la reconnaissance et des conditions de travail. » Lors de la parution, en février dernier, par le ministère du Travail, du classement des entreprises en fonction de leur gestion du stress au travail, pas moins de 40 SSII faisaient partie de la liste rouge. « Et pour celles inscrites dans la liste verte, beaucoup de salariés nous ont écrit qu'ils ne comprenaient pas ce classement », s'inquiète le représentant syndical.

 

Un management trop éloigné, trop fragmenté

Les raisons de ce désamour sont multiples. Mais pour Jean-Claude Delgenes, directeur général de Technologia, cabinet d'expertise sur les conditions de travail, le principal souci vient d'une dématérialisation des liens entre manager et salariés : « Le collaborateur est chez le client. On ne le voit pas et on ne communique avec lui que par ordinateur ou téléphone. Ca ne fait que renforcer l'éloignement. ». Avis encore plus tranché pour Yann (le prénom a été changé), auteur du blog « Ma vie de presta » : « Les SSII vendent des services. Vous faites partie de ces services et votre manager n'est qu'un commercial qui vend votre cerveau. Quel est l'intérêt pour lui de créer du lien ? »

 

Pour Régis Granarolo, le problème managérial vient surtout de la multiplication des liens hiérarchiques : « Vous dépendez d'une société, mais vous travaillez pour une autre... Même si le client, en théorie, n'a pas d'ordre à vous donner, dans les faits, il est aussi le patron. »

 

Etre toujours à la pointe

Résultat : les salariés des SSII se sentent souvent isolés et mal reconnus pour leur travail, pourtant de plus en plus poussé. « A la différence des sociétés de conseil traditionnelles, les SSII apportent une expertise technique de pointe. Ses salariés doivent donc être toujours à la page », note Jean-Claude Delgenes. La pression est donc forte. Parfois même exagérée : « On m'a demandé de tricher sur mon CV pour y faire mentionner des spécialités que je n'avais pas », révèle Yann, sur son blog.

 

Des intercontrats pas toujours bien utilisés

Sans aller jusqu'à la fraude, la peur de ne pas être à la hauteur est récurrente dans les SSII. Surtout lorsque les périodes d'intercontrat s'éternisent. « Passer un délai de huit mois à attendre la prochaine mission, le risque psychologique est grand pour le salarié, qui se sent peu à peu devenir obsolète », poursuit le spécialiste. Obsolète... voire parfois humilié.

« Il n'est pas rare qu'on nous demande de faire des tâches « pour s'occuper », se souvient Yann. Des choses qui n'ont rien à voir avec nos compétences, comme trier des CV ou rechercher nous-mêmes, à la place des commerciaux, notre prochain contrat. » Régis Granarolo tempère : « Avec la reprise, les périodes d'intercontrat sont moins longues. Et majoritairement, les bonnes SSII prennent comme une chance de former leurs salariés. »

 

Stagnation

Pourtant, ils sont nombreux à avoir l'impression de faire du surplace. « Vous êtes chez le client, donc on vous oublie et on ne pense pas à vous proposer une promotion ou une augmentation de salaire », remarque Yann. Même constat pour Jean-Claude Delgenes : « L'offshoring fait aussi qu'une partie des équipes travaillent désormais en Inde ou au Maroc. Là-bas, le turn-over est important et les collaborateurs français doivent régulièrement repartir de zéro avec leurs collègues étrangers. Ca ne favorise pas la progression de la tâche. » Mais ça aide à l'amplification du stress et du mal-être.

 

Crise cardiaque ou dépression ?

Résultat : « l'année dernière, il y a eu des cas de suicide en SSII, rappelle Régis Granarolo. Mais on n'en a peu parlé. » Avant d'arriver à cette extrémité, Jean-Claude Delgenes observent surtout une recrudescence des problèmes cardiaques et neurologiques chez une population jusque-là épargnée.

Yann, lui, a choisi de quitter l'univers des « boîtes à viande » pour rejoindre une « vraie » entreprise. « C'est au moins l'avantage des SSII, sourit-il. Ca étoffe votre réseau pour aller travailler ailleurs. »

 

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Tiphaine Réto
Tiphaine Réto

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