
Une vocation précoce
Sébastien est un enfant des années 70, celles du transport carboné. A 17 ans, alors qu’il ne savait pas quoi faire comme nombre de ses camarades, son père, cadre – sa mère travaille dans la petite enfance – lui offre un guide des métiers de l’Etudiant. « Je l’ai dévoré. Et me suis arrêté sur la page transport. Dans ce secteur, “tout est à inventer”, écrivait le journaliste à l’époque. Un déclic pour moi ! J’ai enquillé un DUT Transport et logistique puis un Master sur le même thème. »
Un premier poste tremplin
Après une objection de conscience d’un an dans le secteur de l’insertion professionnelle au sein d’une mission locale – il voulait garder ses longs cheveux et refusait de porter des armes -, le jeune homme se retrouve sur le marché du travail.
On est en l’an 2000. « J’ai dû rédiger plus de cent lettres de motivation à la main. Je voulais intégrer une société de location de camions avec l’idée que le boulot serait très varié ». C’est ce qui s’est passé.
« J’ai débuté au Smic et à mon départ, huit ans plus tard, je touchais 52 000 euros brut annuel. Durant tout ce temps, j’ai proposé des initiatives, monter la filiale de location de camions courte durée. J’adore développer des projets ex nihilo. Cette entreprise de quelque 1000 salariés le permettait. C’était génial. Mais mon nouveau supérieur hiérarchique m’a fait comprendre que je gagnais trop, que mes évolutions professionnelles tenaient du passé. Pour lui, j’étais monté trop vite et il m’annonçait la fin de la récréation. Cela m’a sapé le moral d’autant plus que je savais que mon prédécesseur, à mon poste, gagnait plus que moi. Il fallait donc partir. Mes jumeaux venaient de naître, ça tombait bien. »
Départ en région
Exit l’Ile-de-France et ses habitations trop exigües. Départ pour le centre France et un job de directeur de concession chez un vendeur de poids-lourds. « La vie était plus agréable mais j’ai débuté en 2008, en pleine crise des subprimes. Mon salaire était passé à 85 000 euros brut par an mais, entre le moment où j’ai signé mon contrat de travail et mon arrivée, le site est passé de rentable à déficitaire de 35 000 euros par jour, samedi et dimanche compris ».
A la clef, une gestion de crise, un plan de licenciement… Sébastien y est resté trois ans jusqu’à son départ pour un grand groupe. « Je suis alors devenu directeur de la flotte automobile de cette multinationale agroalimentaire avec une gestion de 3000 véhicules. J’ai pu y lancer des entités en Europe. J’ai passé une partie de mon temps dans les avions en montant trois sociétés dans trois pays différents avec montage des statuts, embauche, développement. J’ai rapidement été augmenté et j’ai nagé dans le bonheur jusqu’en 2017, date à laquelle mon chef est parti à la retraite. Je percevais 130 000 euros brut par an, j’étais le chef d’établissement de 4 sociétés. C’était passionnant avec une flotte automobile répartis sur 42 pays de la Suède en Afrique-du-sud et du Chili au Canada. Puis, le remplaçant de mon chef est arrivé... »
L’histoire se renouvelle. « On s’entendait moins bien… Et j’ai été démarché par un chasseur de tête. Deux ans avant, je ne l’aurai même pas écouté. A ce moment-là, j’ai décidé d’y prêter attention pour un job chez un spécialiste high tech à l’étranger. »
Départ pour l’étranger et… retour en mode Covid
Il s’agissait de lancer, de pas grand-chose, une division souhaitant développer des solutions en intelligence artificielle appliquée à la gestion du transport.
« On m’a embauché pour mes compétences “automobiles” et “logistiques” et je travaillais avec des informaticiens. J’ai commencé en 2018 et j’ai été viré en novembre 2020. L’impact du Covid que j’ai passé en France... J’ai reçu ma lettre de licenciement par la poste. Je n’avais rien vu venir… Je percevais 160 000 euros brut par an. Ma division a été fermée, j’ai rendu la voiture de fonction et 6 semaines après, je pointais à Pôle emploi. »
Le déclic : une aversion pour les jeux politiques
Ce licenciement a fait office de déclic. Le groupe alimentaire salariait 80 000 personnes à son départ et le spécialiste high tech pas loin de 320 000. « Je n’en pouvais plus des jeux politiques et que ma carrière soit gérée par des ressources humaines parfaitement inhumaines. Je voulais autre chose. Alors que j’étais au chômage et que je tentais de racheter un garage, un ancien collègue m’a appelé pour me proposer une mission en indépendant. J’ai tendu l’oreille car je voulais monter mon propre business quitte à gagner moins. L’employeur cherchait à développer une filiale de camions à énergie décarbonée. J’ai sauté le pas. Cela m’a beaucoup plu. Il y avait un objectif, un délai, une pression, des choses à faire, des projets concrets super intéressants. Ma première mission a duré 6 mois. Puis j’ai enchainé. »
Indépendant pour ne plus subir
Aujourd’hui, Sébastien continue ses missions en tant qu’expert en gestion des mobilités, bilan carbone et autres analyses pour les transports et l’automobile, y compris dans des entreprises du CAC 40. « Je travaille comme un travailleur non salarié, à la tête de ma petite SARL. C’est certes plus risqué. Cela m’a fait parfois peur. Je n’ai plus de filet de sécurité. »
Mais il préfère exercer depuis l’extérieur, loin des stratégies florentines qu’il a connues, quand les moins compétents manœuvrent astucieusement pour obtenir gain de cause tout en évitant les confrontations ouvertes.
« Dans les grands groupes, rendre service peut se retourner contre vous. Je me rappelle qu’un jour, un service paye a refusé de travailler sur la question des avantages en nature. On m’a refilé le bébé. Je l’ai géré sans en avoir les moyens. Les RH sont revenus me voir en me disant qu’il y avait beaucoup d’erreurs. Alors que c’était leur travail… Ils nous ont rendus fautifs en accusant nommément des collaborateurs. C’était tout sauf humain. »
Des souvenirs de jeux de pouvoir, Sébastien en a à la pelle. « Je me souviens aussi de ce gars voulant se faire mousser auprès de la direction. Il a mis en cause mes achats de camions, précisant à qui voulait l’entendre qu’il avait trouvé des engins moins chers en Asie. Il avait omis de préciser que ces véhicules étaient non homologables en France. J’avais fait tout un travail de calcul des coûts et tout a été remis en question. Cela prend deux minutes pour raconter des conneries dans le but de se faire bien voir. Et des jours pour « débunker ». C’est une pratique très courante… »
Plus indépendant mais pas plus riche
Son statut d’indépendant lui permet-il de gagner plus ? « Quand on additionne le tout, je ne suis pas beaucoup mieux payé que lorsque j’étais salarié. J’en suis à ma 3e mission. Je me paye moins qu’avant avec une rémunération tournant autour des 42 000 euros net par an et des placements effectués au nom de mon entreprise. Je facture ainsi quelque 200 000 euros par an pour des missions à des postes qui sont payées en salaire de 100 000 à 120 000 euros brut par an. C’est quasi la même chose pour l’employeur mais de mon côté, je peux me faire financer mon logement et parfois mes repas. Je mets bien sûr de côté pour me rémunérer si mes contrats s’arrêtent. Car pour exercer en libéral, il faut être un bon commercial. Ce qui n’est pas mon cas. Ou se faire référencer sur une plateforme ou via une société de management de transition. »
Plus efficace grâce à l’indépendance
Malgré le risque financier, l’expert apprécie sa nouvelle qualité de travail : « On me met beaucoup moins de bâtons dans les roues. Le client fait tout pour ne pas me ralentir. Il estime que le conseil extérieur est de meilleure qualité que le travail en interne… Un ami a remarqué que les idées venant de l’interne sont rarement retenues, mais que celle d’un conseil extérieur le sont beaucoup plus facilement… Les grands groupes manquent de confiance en leur troupe. Moi, en tant que conseil extérieur, je vais plus vite. Les solutions sont prises plus rapidement. »
Plus indépendant et plus épanoui
Tout compte fait et après quelque 20 années de salariat, Sébastien apprécie son sort d’indépendant. « Je suis un intérimaire avec une belle cravate qui peut effectuer des missions passionnantes et faire avancer les choses. Je n’ai plus de routine à gérer et je réalise de l’exceptionnel tous les jours. On m’a proposé déjà trois fois de m’embaucher mais je préfère garder mon indépendance. C’est intellectuellement super intéressant. Ce peut être stressant parfois mais il y a des périodes d’euphorie géniales à vivre ».
* son nom et son parcours ont été anonymisés à sa demande.
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.