Les 4 raisons de « réinventer le code source de l'économie mondiale » selon Emmanuel Faber

Gwenole Guiomard

VU POUR VOUS - De passage en France, Emmanuel Faber, l’ex-PDG emblématique de Danone a donné une conférence au Collège des Bernardins . Depuis son départ de la multinationale, il a rejoint un fonds à impact (qui veut contribuer à la transition agroécologique) et préside l'ISSB (International Sustainability Standards Board), un organisme chargé de définir des normes extra-financières mondiales permettant de connecter l’économie, l’humain et le vivant. Nous résumons dans cet article les raisons données par Emmanuel Faber de "changer le code source de l'économie mondiale".

Emmanuel Faber, ex patron de Danone et désormais président de l'International Sustainability Standards Board (ISSB), organisme chargé de définir des normes extra-financières mondiales. En conférence au Collège des Bernardins le 25 janvier dernier.

Emmanuel Faber, tout de noir vêtu, est de retour en France. Après son éviction de Danone, il s’est installé à Francfort pour continuer son combat pour un monde plus écologique et plus humain. 

« Nous avons 10 ans pour trouver la voie pour une économie résiliente. Chaque année compte. Nous n’avons donc pas le temps d’être pessimiste ». 
Emmanuel Faber, le 25 janvier 2023 lors d'une conférence au Collège des Bernardins

Pour Emmanuel Faber, il est donc urgent de « réinventer le code source de l’économie mondiale » pour réduire le déclin environnemental en cours mais aussi pour gagner en compétitivité économique. Pour lui, les deux sont liés. « La transition écologique ne sera jouable qu’avec une combinaison de politiques publiques, d’actions de la société civile et des allocations de capital de la finance pour les besoins de transition des entreprises. C’est la combinaison des trois ». Mais, pour cela, des changements importants doivent être menés. 

1/ Changer car on ne compte pas tout ce qui compte

Emmanuel Faber le répète à longueur d’ouvrage : il faut changer les règles de la comptabilité en y incluant les conséquences des politiques d’entreprise. Il faut donc y ajouter les dégâts écologiques qu’une firme peut provoquer, la perte de qualité des sols pour une industrie, les conséquences sur la biodiversité pour les spécialistes de la chimie. 

Or, la finance mondiale ne tient pas compte du temps qu'a mis la nature pour transformer, par exemple, de la matière organique en matière fossile. De ce fait, ce délai de fabrication du pétrole (des millions d'années) compte pour zéro dans la comptabilité telle qu'elle existe aujourd'hui. La santé humaine ou l’appauvrissement des patrimoines génétiques des plantes ou des animaux sont tout aussi « invisibilisés ». Il est donc essentiel de changer la donne comptable et financière pour intégrer ces phénomènes. « C’est un enjeu majeur pour notre survie » avec des entreprises et une finance mondiale analysant les pertes et profits d’une société à l’intérieur et à l’extérieur de son périmètre.  

2/ Changer pour préparer l'avenir

« Nous ne voyons pas sur le long terme », regrette Emmanuel Faber. C’est-à-dire que personne en entreprise ne veut mesurer les conséquences des impacts de l’activité sur notre environnement social et humain. Or, les conséquences de notre colonisation de l’ensemble de la planète sont gigantesques. Emmanuel Faber donne un exemple : 94 % de la biomasse terrestre sont désormais composés de cheptels d’animaux domestiqués : veaux, vaches, cochons, poules et poulets, poissons d’élevage. Reste 6 % d’une biomasse « sauvage », naturelle. Est-ce tenable ? La réponse de l’ancien dirigeant de Danone est claire. « Non. Ce n’est pas tenable. Nous sommes aveugles ». C’est, de plus, extrêmement dangereux. Il faut donc réfléchir collectivement à comment changer les choses. Pour cela, il faut analyser sur le long terme.

3/ Changer pour bénéficier des changements climatiques

Emmanuel Faber nous donne 10 ans pour changer les choses. Sinon, on se verra confronter à un ensemble de changements climatiques qui mettra à genoux nos économies. Il évoque l’été 2022 où le Rhin, son fleuve de proximité (il habite maintenant Francfort), est devenu non navigable du fait d’un manque de débit. Tout cela causé par seulement deux mois de canicule. Il illustre aussi la question du réchauffement du Rhône ne permettant plus de refroidir les centrales nucléaires qui le bordent. Que se passera-t-il avec un réchauffement planétaire à plus de 1,5 degrés celsius ? Pour lui, « le changement climatique va accélérer les contraintes sur l’économie ». Ce peut être en mal mais aussi en bien en permettant aux sociétés humaines qui s’y préparent, qui le corrigent mais aussi aux entreprises qui s’y mettent de disposer d’avantages concurrentiels importants.

4/ Changer pour des normes comptables intégrant la durabilité

Emmanuel Faber est aussi un ancien dirigeant estimant que la comptabilité, la finance devront aussi changer le monde. Il est maintenant président du Conseil international des normes extra-financières. L'ISSB (International Sustainability Standards Board) est, pour le quotidien « Les Echos », « le pendant, pour la finance verte, de l'International Accounting Standards Board (IASB) qui élabore les normes comptables internationales ». 

Il plaide alors, depuis son nouveau fauteuil, pour intégrer dans les normes comptables toute une série de mesures provenant des services RSE. Il faut relier ces deux services pour intégrer les éléments matérialisant les actions de l’entreprise en-dehors de son seul périmètre : actions sur l’environnement, sur les humains. C’est d’autant plus important que, pour Emmanuel Faber, cette finance est si puissante et si rodée à la prise de décision économique qu’elle constitue « un levier pour connecter les entreprises dans un référentiel comptable » commun intégrant la société civile et les ressources naturelles : des consommateurs à la femme qui allaite « gratuitement » aux fermiers kenyans. En s’appuyant sur cette nouvelle comptabilité, « une entreprise se développe durablement » en travaillant avec des capitaux humains, financiers, sociaux, environnementaux. « En les protégeant, développant et les régénérant, conclut-il. Cela me donne aujourd’hui confiance dans le fait que nous avons une chance de transformer la façon dont les entreprises regardent leur création de valeur ». Et donc notre planète. 

Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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