Christine Jeandel (Groupe Colisée) : "Nous sommes ouverts aux managers en reconversion"

Sylvia Di Pasquale

Qu'on se le dise, le secteur des maisons de retraite prospère et offre des carrières aux diplômés de grandes écoles mais aussi aux cadres venus d’autres secteurs tentés par une reconversion. La présidente du groupe Colisée, l’un des acteurs privés du secteur, détaille les motivations des candidats qui choisissent de rejoindre ses maisons, notamment pour la singularité des programmes de formation proposés et les valeurs d’attention qu’elle défend.

[Extraits vidéo ci-dessus]

[Interview intégrale ci-dessous]

Colisée reste une entreprise familiale par rapport à d’autres entreprises du secteur ?

Nous restons à taille très humaine. Nous accueillons 5 700 patients et résidents, répartis dans 75 établissements, et 3 300 salariés.

 

Comment se répartissent les principaux métiers cadres de l’entreprise ? (Infographie)

Dans l’équipe des cadres, il y a des gestionnaires : des directeurs d’établissement – qui sont en quelque sorte des « chefs d’entreprises », des patrons de centres de profits – et leurs adjoints. Ensuite il y a les professionnels du médical ou du paramédical, notamment beaucoup de cadres infirmiers, des médecins, des psychologues qui accompagnent nos résidents. Enfin, il y a les personnes qui nous accompagnent dans la partie hébergement, hôtellerie, restauration, tels que des responsables d’hébergements, des gouvernantes etc. Tous sont salariés chez nous, ce ne sont pas des libéraux.

 

Avez-vous recruté en 2015 ? Et allez-vous recruté en 2016 ?

Nous avons réalisé 120 recrutements de cadres en 2015. En 2016, vue notre croissance, on aura besoin d’en recruter environ 200-250, ce qui comprend des créations de postes, des remplacements et des expatriations. Quand je suis arrivée fin 2014, nous avions 40 établissements et faisions 140 millions de chiffre d’affaires. Nous en avons 74 aujourd’hui et nous comptons réaliser 250 millions de chiffre d’affaires en 2016. C’est une entreprise qui se porte bien et un secteur prometteur.

 

Quels profils de cadres recherchez-vous ?

Dans nos valeurs et nos principes fondamentaux, nous prônons la diversité. 91% de nos salariés sont des femmes. Ce n’est pas banal mais nous aimerions « masculiniser » la profession. 60% de nos directeurs d’établissement sont des femmes. J’aimerais bien revenir à 50%. Nous ne recherchons pas une tranche d’âge en particulier, nous restons assez ouverts.

 

D’où viennent les candidats aux postes de managers ?

D’abord il faut savoir que la profession de Directeur d’établissement a été réglementée il y a quelques années. C’était une mesure qui a fait hurler nombre d’acteurs du secteur. Pas moi car cette obligation a professionnalisé ce métier. Désormais, il faut avoir un diplôme qui est de niveau master 1 ou 2, en fonction du type d’établissement. Beaucoup de grandes écoles ont créé des parcours diplômants (Sciences Po Paris, Paris Dauphine, l’Inseec Bordeaux, Toulouse Business School,…). Et puis, nous avons aussi des possibilités d’accueil de personnes qui viennent de secteurs extérieurs. Nous accompagnons beaucoup de reconversions professionnelles.

 

De quels types de secteur viennent ces « reconvertis »?

Nous avons par exemple une directrice d’établissement qui exerçait des responsabilités dans la Gendarmerie nationale. Nous en avons une autre récemment recrutée qui était avocate fiscaliste. Notre dernier responsable régional en date vient de l’hôtellerie et des clubs de loisirs. Nous avons également un journaliste stagiaire dans une école de commerce qui a décidé de se reconvertir…

 

Comment formez-vous ces reconvertis à votre métier ?

Notre secteur n’est pas la Nasa quand même… Nous avons des Licences et des Masters 1 pas si difficiles que cela à décrocher en passant des  équivalences via une VAE par exemple. Quitte à passer un complément de formation sur les unités manquantes. Ou alors, pour les personnes qui ont une bonne formation de base en management, nous complétons nous-même par un parcours d’intégration un peu long, par des passages dans nos établissements et des formations par nos « experts métier ». Grâce à ces parcours, ils peuvent être opérationnels en 3 à 6 mois. Il faut bien sûr qu’ils acceptent de se former à la partie réglementaire et droit du travail, hygiène et sécurité de nos métiers.

 

Quelle est la motivation des candidats au poste de Directeur d’établissement, ou d’Adjoint ?

C’est d’abord l’envie d’enrichir leurs compétences managériales, de diriger une entreprise. Ils veulent être patron de leur équipe, pouvoir développer leur projet. Nos métiers permettent une grande autonomie, même s’il y a bien sûr des colonnes vertébrales, des procédures et des règles à respecter comme dans tous les groupes.

 

Ils font aussi l’expérience du management de la diversité ?

Exactement. Car dans nos établissements, côté salariés, il y a des gens de tous les milieux, issus de secteurs divers et de tous les âges. Et côté clients, il y a les familles à accompagner. Donc les managers ont à la fois une proximité immédiate avec le client, et la proximité quotidienne avec une équipe de 40 à 60 personnes.

 

Etre des acteurs locaux, cela fait-il également partie de la motivation ?

Oui. Ce sont des acteurs-citoyens locaux. D’ailleurs, ils ont tous un ancrage dans la région, de la famille ou une maison secondaire… Piloter un établissement ancré en région vous rend acteur de la cité : vous faites venir des animations, vivre les commerçants locaux… vous êtes donc un représentant de la cité au sens le plus noble du terme. Je pense que tous les candidats n’ont pas envie de s’expatrier à l’étranger. Ils viennent aussi chercher de la stabilité en région.

 

Vouloir travailler auprès de personnes âgées peut-il être une vocation ?

Je ne crois pas. En revanche, il est impératif de se sentir à l’aise avec les personnes âgées.

Comment vous assurez-vous que les candidats sont « à l’aise » avec ce public ?

Nous testons les savoir-être, les natures. Lors du processus de recrutement, nos équipes aiment bien faire des mises en situation. En posant des questions concrètes, comme « vous avez à faire à une famille difficile comment réagissez-vous ? », « vous constatez qu’une aide-soignante a eu des gestes un peu brusques avec un patient, comment réagissez-vous ? », etc. Notre sélection a pour objectif vital d’éviter de mettre une personne en échec dans ce milieu. Ce serait grave car cela vous retourne à l’intérieur. C’est un métier qui demande beaucoup d’empathie, mais aussi qui nécessite de savoir se protéger. Il faut savoir porter des charges émotionnelles lourdes de manière irrégulières et parfois totalement inattendue. Pendant un accompagnement d’une famille difficile, ou pendant l’accompagnement d’un décès – pour être réaliste.

 

Est-ce que Colisée rémunère moins bien, aussi bien ou mieux qu’ailleurs ?

Aussi bien ! Nous faisons des benchmark pour le vérifier.  La branche est bien organisée. Notre syndicat professionnel, le Synerpa, organise notamment une enquête sociale annuelle.

 

Est-ce qu’on grandit professionnellement chez vous ? Vous savez que c’est l’un des critères prioritaires des cadres pour choisir une entreprise…

Nous avons doublé notre budget formation pour atteindre 2,5% de la masse salariale, ce qui représente 40 000 heures par an. On est très au-dessus des minima conventionnels. Et notre convention collective nous impose déjà quelque chose de supérieur au légal. Quand on est manager, on a accès à des formations de perfectionnement. Mais aussi, comme tous les salariés de Colisée, à l’approche Montessori qui est une nouvelle approche des résidents. Nous formons tout le monde : l’équipe d’encadrement pour qu’elle en comprenne la philosophie, mais aussi les gens du siège, les comptables…. Et bien sûr le personnel soignant.

 

En deux mots comment définiriez-vous cette méthode ?

Elle consiste à s’appuyer sur ce qu’il y a de positif chez les gens. C’est une méthode qui était destinée à l’origine aux enfants en difficultés scolaires. Le Dr Maria Montessori a compris qu’il fallait arrêter de leur parler de leurs échecs, mais plutôt s’appuyer sur ce qu’ils étaient capables de faire de mieux, pour les accompagner dans une spirale de la réussite. C’est pareil avec une personne âgée qui est confrontée à la perte de certaines capacités. Aidons-là à se concentrer sur celles qu’elle a encore et amenons-la à réussir.

 

Pourquoi avoir introduit cette formation chez Colisée ?

Cette méthode Montessori apporte quelque chose vis-à-vis de soi-même, donc un plus grand confort de travail. Faciliter la relation avec le client, diminuer l’agressivité, faciliter la relation avec la famille… Les enfants d’un résident peuvent être amenés à vous dire « je ne peux plus venir voir Maman, je n’arrive plus à communiquer avec elle.» En tant qu’accompagnant soignant, on peut alors suggérer d’organiser un atelier avec sa mère, d’ailleurs qu’aimait-elle faire ? J’ai un exemple récent : la mère aimait remplir des verres avec du sable de couleur, et bien désormais mère et  fille font ensemble un atelier sable de couleur au moins une fois par semaine. C’est cela aussi l’approche Montessori. C’est se simplifier la vie, fluidifier les rapports. Il n’y a pas UNE bonne démarche, il n’y a que celle qui permet aux résidents et aux équipes d’être plus à l’aise.

 

Cette mesure illustre une des valeurs que vous affirmez chez Colisée. Mais comment être sûr que ce sont de vraies valeurs et pas seulement du marketing ?

Quand je suis arrivée chez Colisée en octobre 2014, les 3 valeurs fondamentales exposées sur le fronton de l’entreprise c’était : Cohésion – Ouverture – Respect. C’était prometteur... J’ai commencé à travailler dans l’entreprise et j’ai senti d’autres choses. Tous les directeurs de l’entreprise ont été réunis en séminaire et on leur a demandé dans laquelle de ses 3 valeurs ils se reconnaissaient le plus. Et parmi les 3, l’une d’entre elles n’a eu aucune voix ! L’année dernière nous avons lancé un baromètre social auprès de l’ensemble des salariés, sur lequel nous avons testé la manière dont ils se reconnaissaient dans ces valeurs, mais de façon concrète. C’est-à-dire : « votre manager est-il à votre écoute ? », « arrivez-vous à le voir quand vous demandez à le rencontrer ? », etc. Avec ces 3 300 réponses nous aurons une bonne idée. Pour répondre à votre question, c’est ainsi que nous suivons la réalité de ces valeurs afin qu’elles ne soient pas que des affiches collées sur les murs.

 

 

Le Groupe Colisée va ouvrir une première maison de retraite en Chine. Staffez-vous avec du personnel chinois ?

Les deux. Il y aura une équipe à la fois de Chinois et de Français. Pour l’instant, paradoxalement, nous recrutons plutôt une équipe chinoise en France – de jeunes chinois venus faire leurs études en France, notamment médecine, et qui viennent se former à la direction d’établissement chez nous pendant 6 mois à un an, puis que nous ferons repartir à Canton pour ouvrir la maison. Mais nous aurons aussi besoin dans les mois qui viennent de cadres expérimentés français qui iront encadrer ces jeunes en Chine. Le Brésil et l’Italie sont également les pays où le Groupe se développe.

 

 

Pour un salarié, être dans une entreprise détenue par un fonds d’investissement comme Eurazeo, ça change quelque chose dans sa façon de travailler ?

Cela fait plus de 15 ans que je suis dans ce secteur. J’ai connu tous types d’actionnaires – la Caisse des dépôts et consignations, des fonds d’investissements anglo-saxons, une société en Bourse et maintenant Eurazéo. Je retiens que l’essentiel n’est pas le statut de l’actionnaire mais les hommes et les femmes qui sont à la tête de l’entreprise. Le dirigeant peut travailler tout aussi à l’aise et en accord avec ses valeurs dans n’importe lequel de ces environnements.

 

Est-ce qu’un fonds n’est pas tenté de standardiser vos méthodes de travail ?

Non, parce que le fonds Eurazeo investit dans différents types de secteurs, de la location automobile à la location de linge, en passant par l’hôtellerie ou les crèches même récemment. Disons qu’il apporte plutôt un écosystème propice au développement de l’entreprise et nous accompagne, y compris à l’international. Ce fonds travaille avec des horizons de temps longs, c’est une boîte cotée, ce n’est pas un fonds d’investissement classique qui investirait et désinvestirait pour réinvestir. Le fondateur du groupe Colisée est resté avec nous et a souhaité rester très présent dans le capital. Je pense que c’est un signe.

 

Vos établissements pourraient-ils être « ubérisés » ? Vous ne garderiez plus qu’un noyau de salariés mais feriez travailler des indépendants qui interviendraient sur des personnes âgées connectées avec leur bracelet depuis leur domicile ?

C’est un modèle qu’il faut bien sûr envisager. Ce que vous décrivez pourrait être un modèle complémentaire aux nôtres, qui interviendrait temporellement avant l’entrée dans nos maisons. Un sondage révèle que 2 Français sur 3 ne veulent pas rentrer en maison de retraite ! Et c’est normal. Mais je ne pense pas que ce modèle d’accompagnement à domicile puisse détrôner les Epadh. D’abord parce qu’ils répondent à un vrai besoin actuel et futur : la prise en charge de la grande dépendance physique et/ou psychique. L’âge d’entrée dans nos maisons a bien reculé puisqu’on y  rentre en moyenne à l’âge de 87 ans, parce que le domicile n’est pas adapté ou si la dépendance peut rendre la personne dangereuse pour elle-même ou pour ses proches. Et puis, il faut que cela reste une solution réaliste financièrement parlant. Car pour s’occuper d’une personne âgée dépendante à temps plein à son domicile, il faut 4 ou 5 personnes…

Sur quels projets travaillez-vous pour améliorer le bien-être de vos managers ?

Comme c’est un métier qui isole, nous sommes en train de monter des formations « esprit de promo », qui permettront d’échanger entre managers. Actuellement, nous faisons deux séminaires nationaux par an  et des réunions régionales une fois par an. Nous montons également un réseau social d’entreprise pour permettre aux salariés d’échanger sur leurs bonnes pratiques. Il viendra en complément de notre réseau social pour nos clients. Via ce réseau social, nous encourageons les familles à échanger entre elles et avec notre personnel. La transparence est aussi une vertu que nous cultivons.

Propos recueillis par Sylvia Di Pasquale ©Cadremploi   

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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