Cadremploi : Ce n’est donc pas une blague, vous venez vraiment de recevoir le Prix de l’Hu-Mour RH ?
Dominique Bellos : Oui tout à fait !
C’est un Prix décerné par le Club DeciRH, qui sont en fait vos pairs. Mais pour la DRH d’un très gros groupe de 30 000 personnes, réparties dans 23 pays, vous n’avez pas peur de l’image que cela peut donner de vous ?
Non, au contraire ! Cela donne le ton de ce qu’est le groupe Hutchinson. Car si je peux me permettre d’exercer un petit peu d’humour dans mon métier, c’est que le groupe le permet aussi.
On sait que l’humour a des vertus, mais à quoi cela sert-il en entreprise ?
L’humour permet de mettre de la décontraction dans des situations un peu tendues par exemple, du moment qu’il est bien dosé. C’est un petit ton de fête, qui permet de faire sourire les gens, du moment qu’il ne s’agit pas d’un humour vulgaire ou offensant.
Avez-vous déjà connu une situation professionnelle où l’humour vous a permis de désamorcer une situation compliquée ?
Oui j’ai un exemple très simple. J’ai souvent dans mon bureau des personnes qui connaissent des passages à vide, et désirent évoluer dans la société et dans leur carrière. Pour les repositionner, nous devons faire un point avec eux. Mais souvent, lorsqu’ils entrent dans un bureau de DRH, les gens n’aiment pas trop se remettre en cause. Donc j’ai une question un peu « magique » que j’aime poser le moment venu qui est : « êtes-vous heureux dans votre poste ? ». Or je sais que la personne qui est en face de moi dans ces circonstances-là ne l’est pas forcément. Et lorsque la personne me répond « oui, oui », alors je lui réponds « alors nous n’avons pas le même sens du bonheur ». Et cette réponse permet au collaborateur de s’exprimer d’avantage, d’ouvrir des portes sur ses attentes et sur ce que nous allons pouvoir faire pour lui.
Pensez-vous que l’on puisse faire de l’humour dans un entretien d’embauche ?
Oui, et j’ai d’ailleurs eu l’audace d’en faire à deux occasions. La première, lors d’une recherche d’emploi, j’étais en entretien dans un cabinet de recrutement, et l’on me posait des questions piège, comme c’était assez à la mode à cette époque. On m’a demandé quelle était la plus grosse erreur que j’étais sensée avoir fait. J’ai répondu, comme je suis mariée avec un grec, que c’était d’avoir épousé un grec qui n’était pas armateur ! Et je dois dire qu’à partir de là on ne m’a plus posé de questions piège de tout l’entretien. Le second exemple est plus récent, c’était à l’occasion d’un premier contact avec la direction générale d’Hutchinson. Je prenais la direction du département pneumatique, dit « le vélo » (vous avez évoqué le pneu de vélo qui est une des origines du groupe) et on m’a demandé si je savais faire du vélo ! J’ai trouvé la question un petit peu osée, et avec un petit peu d’audace j’ai répondu que oui, j’avais lâché les petites roues quelques jours avant.
Et si des candidats faisaient preuve du même humour dans un entretien avec vous, auriez-vous le recul nécessaire ?
Oui, tout à fait !
Pour parler un peu plus sérieusement de vos emplois, Hutchinson c’est 8 250 salariés en France. Mais seulement 25-30 cadres ?
C’est un petit peu réducteur. Nous avons toujours un volant d’environ 30 postes ouverts. Si j’inclus les promotions, nous allons avoir 80-90 postes de cadres à pourvoir en France, mais une partie sera pourvue par des promotions internes, car nous y tenons beaucoup.
Est-ce que vous recrutez pour remplacer, ou bien parce qu’il y a de nouveaux métiers dont vous avez besoin ?
Il y a les deux cas. Nous remplaçons à chaque fois que c’est justifié. Mais nous embauchons également de nouvelles compétences dans des secteurs particulièrement novateurs. Nous avons recruté il y a environ 24 mois un spécialiste multimédia pour gérer tous les réseaux. C’est un univers qui est nouveau pour un groupe qui fête ses 163 ans mais qui a su montrer qu’il savait s’adapter. Donc la personne sur ce poste a pour fonction de veiller à ce qui est dit sur nous sur les réseaux sociaux, et de nous encourager à mettre en œuvre nous-mêmes nos propres réseaux sociaux, afin d’entrer dans l’ère digitale. Il ne sera pas tout seul pour cette fonction, mais voici un type de métier qui n’existait pas avant.
Vous avez beaucoup d’autres métiers, ceux de la conception-production, de la recherche, des fonctions support, de l’innovation…
Oui, l’innovation, c’est 5 % de notre budget, c’est le moteur d’Hutchinson et c’est grâce à cela que nous avons pu traverser ces 163 ans. Quel que soit le métier pour lequel on rentre chez nous, il faut être innovant.
Y’a-t-il des postes sur lesquels vous avez plus de difficultés à recruter ?
Parmi les métiers d’origine – et je rappelle que c’est le caoutchouc l’origine d’Hutchinson – nous avons de plus en plus de difficultés à trouver des ingénieurs chimistes qui aiment le caoutchouc, et en soient spécialistes. Un autre corps de métier qui va beaucoup s’ouvrir dans les années à venir chez Hutchinson, ce sont les métiers commerciaux. Nous sommes en phase de conquête commerciale. Nous avons déjà bien entendu une excellente équipe, et notre pérennité le prouve, mais nous devons passer le braquet supérieur, et nous montrer d’avantage innovant par rapport à nos profils classiques qui sont davantage « techniques ». Il nous faudra en quelque sorte des doubles profils, des ingénieurs commerciaux qui aiment la conquête.
Pensez-vous que votre marque employeur est suffisamment connue des candidats ?
En toute simplicité non. Et nous y travaillons.
Vous venez de terminer la refonte de toutes les marques autour de Hutchinson, la presse économique l’a relayée, mais sur la marque employeur, c’est assez discret.
Tout à fait.
Vous avez dit que le plus beau cadeau que vous avez fait à vos employés c’était l’autonomie ? C’est quelque chose que nous entendons souvent sur ce plateau. En quoi est-ce vrai chez vous ?
Nous ne faisons pas que l’affirmer, nous le faisons. Parce que nous en avons particulièrement besoin. Nous sommes un groupe très décentralisé, et cela dans le monde entier. Dans ma fonction, j’ai très peu de directives à donner, mais j’accompagne avec beaucoup de préconisations. Ce sont toutes les directions locales, soit 110 sites, qui ont l’autonomie nécessaire pour pouvoir gérer leurs activités au plus près des marchés, dans la culture du pays, dans le respect de la stratégie du groupe Hutchinson – car autonomie ne signifie pas indépendance – et cela donne beaucoup de plaisir à tous ceux qui ont la capacité de prendre cette autonomie.
Tous les ans, il y a une étude qui sort sur les employeurs préférés des jeunes, et des jeunes diplômés plus particulièrement. Je ne détaille pas le classement car vous n’êtes pas dedans. Mais il y a quelque chose d’intéressant dans cette étude, c’est que les 3 critères préférés des jeunes diplômés lorsqu’ils choisissent leur employeur c’est : l’innovation, l’environnement de travail créatif et dynamique et enfin la sécurité de l’emploi. Alors j’ai envie de vous demander, comme BMW, Google, Apple, General Electric qui sont en tête de ce classement, qu’est-ce qu’Hutchinson peut faire pour jouer dans leur cour ?
En ce qui concerne l’innovation, ils n’auront que l’embarras du choix ! S’ils sont ingénieux, créatifs et qu’ils ont le plaisir de faire, et cela dans tous les métiers, ils réussiront. Pour ce qui est de l’environnement de travail, il y a bien sûr toujours à progresser. Nous savons que dans le virage digital que doit prendre le groupe, nous nous devons de doter les jeunes générations qui vont être attirées par Hutchinson de tous les outils dont ils ont maintenant l’habitude. Nous ne pouvons pas attirer des talents si nous ne retrouvons pas un environnement du 21ᵉ siècle au sein de notre entreprise.
Mais au-delà des outils c’est aussi une mentalité de travail avec de nouvelles relations managériales, non ?
La mentalité est ouverte chez nous car nous sommes très humains. Il y a une très grande proximité entre le patron et son manager. Mon rôle est, entre autres, d’y veiller. Il faut que le patron de site et le RH local fassent un très bon tandem. Chaque manager doit "customiser" sa relation avec le collaborateur. Nous sommes tous uniques, chaque collaborateur aime être traité comme tel par son manager.
Dans l’industrie, on le sait, il y a le lean management, avec tous les ravages que cela a pu faire.
Oui cela peut faire des ravages. Le groupe Hutchinson n’était pas dans le lean management il y a de cela 7 ou 8 ans, ou du moins commençait à peine sur quelques sites. Mais c’est une volonté de la direction générale, parce que c’est un incontournable de l’univers dans lequel nous sommes. Ce que signifie finalement lean, c’est livrer le bon produit au bon moment. Mais avoir également les bons collaborateurs aux bonnes places et au bon moment. Le risque c’est bien sûr d’être au service du système que l’on a mis en place. Le lean est un rouleau compresseur qui peut nous faire passer à côté de situations humaines qui peuvent s’avérer dramatiques. Le rôle pour l’équipe RH et l’équipe managériale Hutchinson, c’est de ne pas déborder de la ligne blanche, et d’être attentif au sourire du salarié ! Un de mes collègues a pour l’habitude de dire « le lean s’arrête dès que le sourire du collaborateur s’estompe ».
Dernière question, vous savez qu’un jour vous partirez de cette entreprise, quelle est l’empreinte RH que vous souhaiteriez laisser ?
Je pense que cette empreinte sera caractérisée par un projet qui est en train d’éclore sur notre site d’origine et de prédilection qui est Châlette-sur-Loing. Il s’agit du "507 Fab House". C’est un grand bâtiment au sein même de l’usine, qui porte le numéro 507, qui a été reconstruit par Gustave Eiffel. Il est splendide. Nous rénovons ce bâtiment tout en conservant tout ce qu’Eiffel a su y faire. Ce sera la vitrine d’Hutchinson. Lorsqu’on rentrera dedans, que ce soit les collaborateurs, les clients, les fournisseurs, ou tous autres invités, on y découvrira un lieu de vie, de rencontre, d’innovation, de transmission, d’échanges… ce sera un vrai cœur battant d’Hutchinson. Lorsque je quitterai Hutchinson, sachant qu’il y a cette "maison de famille", capable de recevoir tous les collaborateurs un jour ou l’autre, avec leurs proches, et qui regroupe Hutchinson autour de ce sentiment humain, je pense que j’aurais contribué un petit peu et modestement à cette belle aventure.
Et ce sera ouvert au grand public ?
Oui, et nous y installons une école du management Hutchinson.
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.