"Et tout le monde s'en fout" : « Notre titre est un hommage à Alexandre Astier »

Sylvia Di Pasquale

[Replay] Invités spéciaux de Cadremploi, les trois auteurs de cette série pédago-hilarante, Marc et Fabrice de Boni, ainsi qu'Axel Lattuada, ont accepté de répondre à des questions sur leur façon de travailler et sur le monde du travail. Echanges sur les managers bienveillants, l'intérêt du coaching ou les vertus de la colère, avec un détour par l'univers d'Alexandre Astier, non pas pour Kaamelott mais pour une autre de ses créations qui a inspiré le titre "Et tout le monde s'en fout".

De gauche à droite : Axel Lattuada, Fabrice de Boni et Marc de Boni, les auteurs de la web-série "Et tout le monde s'en fout" sur le plateau de Cadremploi en mars 2018

(Chiffres 2018) Plus de 13 millions de vues, 332 000 abonnés sur Youtube... Non tout le monde ne se "fout" pas de cette web-série pédago-hilarante qui analyse des concepts en 4 minutes chrono sur des sujets de société. Lancée il y a un an par deux amis qui voulaient juste "filmer leurs conversations", elle figure déjà dans le top 3 des séries d'edutainment préférées des 15-25 ans. Invités spéciaux de Cadremploi, les 3 auteurs sont revenus sur les thèmes qui infusent, mine de rien, dans les épisodes de cette série et qui peuvent aider les managers de tous âges à s'améliorer.

Les invités

Fabrice de Boni, auteur et réalisateur, garant du ton, de l’image, du rythme et de la cohérence globale de la série. Egalement coach en neurosciences appliquées, il fait bénéficier la série des dernières découvertes relatives au fonctionnement du cerveau.

Axel Lattuada, le comédien de la série qui joue tous les personnages. Il est également auteur et monteur de la série.

Marc de Boni, journaliste et "spin doctor". Il a rejoint l’équipe pour définir les angles, structurer les épisodes et vérifier les sources.

Pourquoi ce titre ? (à 18'18'')

"Et tout le monde s'en fout" est un hommage à Alexandre Astier - le créateur de la série Kaamelott entre autres -  qui scande cette expression dans sa fameuse Exoconférence, L’idée de la série est née au cours d’une conversation entre Fabrice de Boni, qui étudiait les neurosciences appliquées et racontait ses découvertes à son ami Axel Lattuada. Tous deux étonnés que personne ne parle de ces "trucs incroyables" ont décidé de filmer leurs conversations. Le concept de la série a très vite évolué vers une fiction et le gimmick "Et tout le monde s'en fout" s’est imposé.

Pourquoi « Et tout le monde s’en fout » sur Cadremploi ?

Parce qu’on est fan. Elle s’attaque « à la bêtise contemporaine » via des sujets plutôt banals mais dont le traitement fait (re)découvrir des concepts clés pour mieux raisonner. Y compris dans l’open space, à la machine à café, dans les codirs, copils et autres rings où bataillent idées et idées reçues. Parmi la vingtaine d’épisodes de la saison 1, les trois quarts peuvent éclairer nos vies quotidiennes d’homo laborius. Le tout en s’amusant. Ce qui n’est pas pour nous déplaire.

Chaque épisode ressemble à un coaching

Problème / explication / solution :  « On voulait mettre en avant des problèmes mais surtout exposer des solutions », explique Axel Lattuada. Démonstration avec l’épisode #15 - La vérité : « On y expose la question des croyances. Beaucoup de gens confondent croyances et valeurs. La croyance est une stratégie qui vous aide momentanément dans votre vie. Quand votre environnement évolue, cette croyance peut vous freiner si vous la confondez avec ce qui fonde votre identité, à savoir vos valeurs », expose Fabrice de Boni. Un exemple de croyance courante : ne pas savoir prendre la parole en public. « Le cerveau va chercher dans la réalité des éléments qui vont prouver cette incapacité », illustre Axel Lattuada.

Une série sur la « dissonance cognitive »

« La dissonance cognitive est la matière première de notre série : c’est cette sensation de malaise quand une action rentre en contradiction avec une valeur », explique Marc de Boni.

Quand il te manque des infos sur quelque chose, ton cerveau comble automatiquement les trous / en piochant dans ta tête / dans les trucs que tu crois déjà savoir /pour te construire une belle vision du monde/ de toute façon limitée par ce que tu crois. En gros, ton cerveau fabrique de la vraisemblance.
Extrait de l’épisode #15 – La vérité.

Extrait de l’épisode #15 – La vérité.

Un manager peut-il libérer un collaborateur de ce type de croyance bloquante ? « Oui, comme dans la série, il peut faire de l’empowerment, suggère Marc de Boni. A savoir redonner confiance au salarié afin de lui permettre de franchir cette barrière mentale. » Et Fabrice de Boni d’enchaîner : « Le salarié doit aussi investir du temps pour comprendre les valeurs de son entreprise. Qui ne sont pas décoratives mais permettent au contraire d’agir. Par exemple, si l’une des valeurs est la liberté, il peut aligner un milliard d’actions sur cette valeur. »

Mieux manager grâce à ETLSF ?

Et pourquoi pas ! Un exemple, dans l’épisode #17, intitulé « Le pouvoir », on révise la théorie du triangle de Karpman (persécuteur/victime/sauveur), et on apprend comment ne pas s’enfermer dans une relation toxique avec son manager (ou son collaborateur).

Ou dans l’épisode #1 – Les émotions, qui rappelle que « la joie est la seule émotion que ton cerveau essaie de reproduire en permanence. » Un mécanisme très utile à connaître dans le management d’équipe.

On t'a reconnue la maïeutique

La série ETLSF la remet au goût du jour et démontre son efficacité intemporelle, applicable dans n’importe quelle situation de travail. Au lieu d’imposer une idée, il est possible de la faire naître chez une personne par le travail de la question. « Si je vous pose une question, votre cerveau ne peut neurologiquement s’empêcher d’y répondre. » Poser des questions (bien tournées) permet donc d’éveiller l’intérêt et d’attirer l’attention pour « créer des connexions neuronales ». « La maïeutique, c’est la version 1.0 de l’empowerment », résume Marc de Boni.

Bienveillance en entreprise, vraiment ?

La bienveillance n'a pas disparu, selon Fabrice de Boni, bien au contraire elle est en voie de « naissance ». Au-delà de son côté niaiseux, la bienveillance est rentable, démontrent les neurosciences. Il faut donc former davantage de leaders qui veillent à ce qu’elle circule dans les relations. La première étape consiste à redonner à chaque salarié la mainmise sur son développement et son investissement dans la boîte. « A l’échelle du monde, c’est un projet de société incontournable. On arrive à un tel niveau d’hyperconcurrence entre les groupes humains, y compris dans l’entreprise, qu’un nouveau besoin s’est créé : celui de l’adhésion. On voit que les entreprises qui fonctionnent le mieux au monde sont celles qui tiennent compte du bien-être de tous les salariés. Quand les personnes s’accomplissent, elles deviennent performantes, se dépassent, prennent des risques et vont au-delà de ce qu’on attend d’elles. »  Sinon, c’est le burnout. « Deux paramètres le déclenchent : le sentiment de ne plus être utile et de ne plus être aimé, résume Fabrice de Boni, régulièrement confronté à ces maux dans son activité de coaching. Pour l’éviter, c’est au manager de pratiquer la bienveillance. Même si le collaborateur n’est pas au niveau, le manager a intérêt à le complimenter s’il veut que son collaborateur s’améliore. Trouver en soi la sincérité de voir ce qui est, pas ce qui manque. Et l’encourager avec bienveillance. »

Comment collabore le trio ?

Les trois auteurs essaient d’appliquer ce qu’ils défendent. Dans les séances de travail, ils respectent une règle : il n’y a pas de « bonnes » ou de « mauvaises idées », il y a des idées « qui fonctionnent » et d’autres « qui ne fonctionnent pas ». Cette sémantique évite de blesser les egos et met tout le monde dans une posture d’écoute et de bienveillance.

Que représente le personnage principal ?

Le personnage principal L3X@ « est un geek frustré, malheureux, qui ne comprend rien à ce monde. Et plutôt peureux », s’amuse Axel Lattuada qui l’interprète avec délice. « C’est une caricature de ce qu’on appelle les social justice warriors sur internet », enchaîne Marc de Boni. L’adulte dans son bon droit, celui qui va rester toute une nuit à ferrailler sur un forum pour faire entendre raison. « Le mécanisme de l’humour fonctionne sur ce paradoxe : il vous crie dessus tout en vous expliquant qu’il faut être bienveillant, précise Fabrice de Boni. C’est un humour très français, celui de la colère. Il vient de Louis de Funès, Alexandre Astier, … et aujourd’hui Tout le monde s’en fout. »

Pourquoi a-t-il tant de défauts ?

C’est une série qui a été pensée avec un début et une fin, déjà prévue. C’est pour cette raison que le personnage a tellement de défaut : plus il en a, plus il apprend des choses sur lui-même. Et plus on peut transmettre un message en le faisant ressentir et pas en l’expliquant. C’est ce qui fait qu’un spectateur s’attache à ce personnage. A partir du moment où le personnage souffre et évolue, on s’attache à lui.

Pourquoi mange-t-il tout le temps ?

Une pomme, une banane, des gâteaux… L3X@ parle en mangeant face caméra.  Ça ne se fait pas. « Justement, c’est parce que ça ne se fait pas qu’il le fait. On cherche soit à fasciner, soit à énerver. Ce personnage est déduit du « principe de l’ombre » : c’est l’ensemble des choses que l’on s’interdit de faire par respect pour notre éducation. Se mettre les doigts dans le nez, parler la bouche pleine, etc. Face à ce miroir de l’interdit, l’internaute est soit fasciné, soit dans le rejet. Mais personne ne s’en fout. Ça tombe bien car sur Youtube, il faut générer ce type d’émotions fortes pour attirer. »

Une série hyper documentée

Marc de Boni explique : « je fais partie des journalistes qui ne croient pas à l’objectivité journalistique. Mais qui croit à l’honnêteté intellectuelle. Nous sommes subjectifs dans nos épisodes puisque nous avons des choix, des parti-pris, des angles. Mais tout ce qu’on dit, nous l’étayons avec des éléments honnêtes. » Puisés dans l’histoire, les sciences, la philosophie, la physique, la biologie… « Nous tentons de créer des liens nouveaux entre des choses existantes », poursuit Axel Lattuada. Comme entre eux quand ils travaillent à un nouvel épisode. A la façon des cercles de penseurs au siècle des Lumières, qui tentaient de dépasser l’obscurantisme et de promouvoir des connaissances.

Le conseil de l’équipe

Quand on cherche un job, ne pas essayer d’atteindre un but. Faire ce qu’on aime sincèrement. « On n’a jamais cherché le succès, on a fait ce qui était facile pour nous et qui nous procurait du plaisir. L’excellence vient du plaisir de faire. La facilité, c’est votre expertise. »

La saison 2 arrive le 13 avril prochain.

Pour voir ou revoir la saison 1

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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