Gilles Babinet (Digital champion) : « Moins de hiérarchies et plus de projets chez les "nouveaux barbares " »

Sylvia Di Pasquale

[Video] Les Gafa, Natu et Batx sont « l’avant-garde des barbares ». Ces entreprises plateformes sont en train de révolutionner les modes de management. Et nos vies. L’un des penseurs les plus influents de la révolution digitale s’agace, dans son 3e livre*, de la lenteur des entreprises françaises dans leur transformation et alerte sur l’urgence de la mue. Interview de l’auteur, Gilles Babinet, Digital Champion pour la France auprès de la Commission européenne pour les enjeux du numérique.

Interview intégrale ci-dessous. Extraits en vidéo.

Gilles Babinet est chef d’entreprise depuis l’âge de 23 ans, créateur de start-up à succès. En 2011, il a été le premier président du Conseil national du numérique, puis a été nommé en 2012 Digital Champion pour la France auprès de la Commission européenne pour les enjeux du numérique. Il est l’auteur de trois livres au Passeur Éditeur : L’Ère numérique, un nouvel âge de l’humanité, Big Data, penser l’homme et le monde autrement et son dernier qui vient de paraître : Transformation digitale : l’avènement des plateformes - Histoires de licornes, de data et de nouveaux barbares *.

Cadremploi : Dans votre 3ᵉ livre, vous reprochez aux entreprises d’être attentistes face à la transformation digitale. Mais dans la 3e étude eCAC40, toute récente, vous êtes beaucoup moins alarmiste sur leur agilité numérique. Alors c’est grave ou c’est pas si grave ?

Gilles Babinet : c’est tout de même une photo prise au 3ᵉ ou 4ᵉ kilomètre du marathon. On en est au tout début de la révolution digitale et vous notez que certains se mettent à bien courir et d’autres sont déjà un peu en retard. Donc d’un point de vue relatif, il se passe des choses.  Dans l’absolu, il y en a beaucoup d’autres qui arrivent.

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Pour ce livre, vous avez compilé des notes issues de 120 entretiens avec des chefs d’entreprises du monde entier. Notamment dans les Gafa, Natu et Batx, que vous appelez « l’avant-garde des barbares ». D’abord un mot sur ces barbares… Vous dites que ce sont des « plateformes d’intelligence collective ».  Que faut-il comprendre ?

GB : Ce qui est frappant dans ces Gafa [Google, Apple, Facebook, Amazon], Natu [Netflix, Airbnb, Tesla, Uber] et leurs équivalents chinois les Batx [Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi], soit les plus grandes entreprises du digital à différentes époques et différents endroits, c’est qu’elles adoptent des règles très différentes d’abord technologiques – elles utilisent toutes de la data – mais qui induisent une transparence dans l’entreprise qui oblige à changer les modèles de management. C’est assez naturel et je pense que toutes ont adopté ces modèles en conséquence des technologies qu’elles utilisent. Moins de hiérarchie, beaucoup plus de projets, la plupart sont d’ailleurs organisées autour de produits. Ces modes projets sont particulièrement efficaces car vous pensez davantage en rupture qu’en mode incrémental. On est capable de penser « Out of the box », c’est-à-dire complètement différemment d’une entreprise traditionnelle.

Quelle est la particularité de ces plateformes ? Elles ne produisent plus ? Elles ne font que mettre en relation ?

La plateforme est basée sur la donnée et elle optimise les relations avec les écosystèmes externes de l’entreprise mais aussi avec ses collaborateurs en interne. Le coût de l’administration de la donnée a baissé d’un facteur 70 000 en l’espace de 15 ans. Aujourd’hui, ça ne coûte pratiquement rien. Donc la capacité d’exposer la donnée et de la partager avec vos collaborateurs et vos partenaires est incomparable. Cela induit une rupture de paradigme très forte au sein des modèles de management des entreprises.

Concrètement, en quoi l’entreprise Tesla est-elle une plateforme numérique ?

On pourrait se dire qu’Elon Musk est un génie – ce qu’il est peut-être – à l’origine de systèmes de paiement, de véhicules électriques, de plateformes solaires ou encore de lanceurs spatiaux. Quel point commun entre toutes ces activités en dehors de ce génie ? Je pense qu’il y en a un : c’est le modèle d’organisation de ses entreprises. Elon Musk a très bien compris que les plateformes permettent d’introduire beaucoup plus d’innovations de rupture dans des systèmes extrêmement complexes comme les lanceurs spatiaux. Et qu’il est capable d’aller beaucoup plus vite que les technologies « souveraines », c’est-à-dire les technologies de lanceurs spatiaux, qui généralement appartiennent à des État. Parce qu’elles nécessitent un effort en R&D c’est tellement cher que seuls des États peuvent se le permettre. Et ça marche dans les quatre domaines dans lesquels il s’est investi.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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