Dans le recrutement, il y a des modes. Le dernier cri, c’est l’intelligence émotionnelle. Vous avez un gros QE (quotient émotionnel) si vous savez, non pas masquer vos émotions, mais au contraire bien les utiliser. Un concept né dans les années 90 mais qui reprend du poil de la bête car les recruteurs cherchent des personnalités émotionnellement matures. Surtout chez les managers et les dirigeants.
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Cadremploi : Pourquoi élaborer votre propre test de QE, alors qu’il en existe déjà sur le marché ?
Laurent da Silva : en réalité, il n’y en a pas tant que ça et il n’y en a même aucun comme celui-ci. Ce sera le premier test de mesure de la performance du quotient émotionnel en situation professionnelle. Jusqu’à aujourd’hui, on a plutôt eu des tests d’autoévaluation qui mesure la désirabilité sociale.
Combien de questions comporte le test ?
35 questions et on le passe en 25 minutes.
N’importe qui peut le passer ?
Oui, il est en ligne sur le site QE-Pro. Après avoir répondu aux questions, vous avez un premier niveau de résultats. Mais le véritable intérêt est de rencontrer l’un de nos consultants formés à l’échange, l’interaction. Qui mettra en lumière certains points ou d’autres.
Pourquoi ce test est-il plus fiable que d’autres ?
D’abord parce que ce n’est pas un auto-diagnostic. Donc il réduit la possibilité de tricher. Ensuite parce qu’ils reposent sur des travaux de l’EM Lyon Business School qui ont duré deux ans. Avec de longues phases d’étalonnage et d’échanges avec des dirigeants et des DRH pour améliorer le test. Nous avons donc construit un test pour le rendre pratique dans le cadre professionnel.
Que mesure ce test ?
Deux choses : Ce test mesure la capacité à diagnostiquer son état émotionnel et la capacité à élaborer une tactique émotionnelle. Je m’explique. D’abord : on mesure la capacité à diagnostiquer ses propres émotions et celles d’autrui. Savoir dans quel état émotionnel je me situe. Ensuite, on mesure la tactique émotionnelle, qui consiste à créer les conditions du bien-être individuel et collectif au service de la performance de l’entreprise.
Un exemple de tactique ?
Les résultats de mon équipe sont très mauvais, je sens un niveau de colère que j’évalue à 8 sur 10. Je sais que si je lance mon message à ce niveau de colère, je ne serai pas audible. Donc je m’autorégule pour redescendre cette colère à 3, afin que mon message soit percutant et audible. Finalement, de cette émotion, j’en fais une vertu de management. On sait aussi que les individus émotionnellement intelligents secrètent moins d’hormones de stress.
Agir en plein état émotionnel intense, ce n’est pas bon ?
Non sauf si c’est ce que l’on recherche. Par exemple pour exalter une salle dans le cadre d’un lancement de produits. Mais il faut le faire en toute conscience pour pouvoir maitriser son émotion et savoir ce que l’on projette.
Comment être sûr qu’un haut niveau d’intelligence émotionnelle ne cache pas des pervers, des manipulateurs, des personnalités qui avancent masquées justement parce qu’elles décodent parfaitement le langage des émotions ?
La tactique émotionnelle pourrait rappeler des notions de manipulation. Sauf si cette tactique est au service du bien-être individuel et collectif comme je vous le disais et au service de la performance de l’entreprise. Or dans la manipulation, on est autocentré et on recherche sa propre performance et pas celle de la collectivité.
Et vous les détectez au cours de ce test ?
Il y a des indicateurs qui donnent des indices et qui font qu’on va creuser en entretien un peu plus que ce qu’on aurait fait normalement.
Qui sont les entreprises qui cherchent à recruter des managers et dirigeants avec ces intelligences émotionnelles très développées ?
Beaucoup de DRH assistent au tour de France que notre cabinet a commencé depuis 4 mois, avec des conférences sur le QE. Nous sommes dans une période de forte transition économique, de mutation, d’émergence de nouveaux métiers, qui engendrent une montée forte du stress. En 10 ans, il a été multiplié par deux dans l’entreprise. On parle du burnout comme jamais auparavant. Donc la notion d’émotions a pleinement pénétré le monde de l’entreprise avec l’anxiété, l’appréhension… S’appuyer sur les émotions comme facteur de conduite du changement me parait très important et ça intéresse nos clients.
Un exemple où le QE d’un candidat pourrait faire la différence ?
Prenons le cas d’un DRH qui aurait à gérer un contexte de relations sociales particulièrement tendu. Le candidat au QE fort (capable de percevoir les émotions des salariés, de mettre en place la bonne tactique émotionnelle au sens positif) aura une vraie plus-value par rapport à quelqu’un qui a un QE faible. Les études des chercheurs de l’EM Lyon ont montré que les DRH n’étaient pas la profession qui avait le plus fort QE…
Est-ce que le QE se travaille ?
Oui, c’est la bonne nouvelle le QE se travaille. Selon l’état de conscience dans lequel on se trouve, on peut améliorer sa perception des émotions via des formations.
N’est-ce pas a priori tabou de montrer ses émotions au travail ?
Vous avez raison. Le mot émotion renvoie à la sphère personnelle. Or, les entreprises ont la conviction que tout est interconnecté. Quand je suis mal professionnellement, je suis mal dans la vie perso. Les émotions font partir intégrante de la sphère pro.
Et les candidats à la présidentielle ?
Avec Christophe Haag, l’un des chercheur de l’EM Lyon qui a participé à l’élaboration du test, nous lançons un appel à tous les candidats à la présidentielle afin qu’il passe ce test avec nous et rendent leurs résultats publics. Parce qu’on va quand même chercher le manager numéro 1 de notre pays. Ce serait donc intéressant de connaitre son QE.
Et vous-mêmes, qu’avez-vous appris sur vous en passant ce test Laurent Da Silva ?
Sur la tactique émotionnelle, j’ai appris que j’étais bien au rendez vous. Pas au niveau des experts de l’émotion (mais ils ne sont que 1% dans la population) … Mais que sur la partie perception des émotions, j’ai encore un peu de travail. Je connais donc mes axes de progrès.
Faut-il indiquer son QE sur le CV ?
Aujourd’hui personne n’indique son QI sur le CV. Je ne pense pas qu’on indiquera son QE demain mais c’est ça peut être un bon moyen d’échanges avec le recruteur.
Badenoch & Clark est un cabinet de conseils, spécialiste du recrutement de managers et de dirigeants d’entreprises (groupe Adecco)
Site du test : www.qe-pro.com
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.