Odile Grassart (Société Générale) : "Nous proposons aux ingénieurs des environnements de travail agiles, façon start-up"

Sylvia Di Pasquale

[Video] La Société Générale cherche 700 ingénieurs sur les 2 300 postes qu’elle ouvre au recrutement cette année. C’est beaucoup, et cela ne va pas être facile. Parce que les ingénieurs et les informaticiens ne rêvent pas tous d’aller travailler dans une grande banque française. La banque est-elle condamnée à être un choix par défaut pour un ingénieur ? Ou au contraire est-elle le choix malin d’ingénieurs attirés par de grands chantiers qui pourraient bien leur permettre de muscler leurs CV ? La réponse avec Odile Grassart, Directrice du recrutement de la Société Générale.

Cadremploi : Parmi les 700 ingénieurs que vous recruterez cette année, combien de profils d’informaticiens recherchez-vous ?

Odile Grassart : Un peu plus de 500 informaticiens, que nous recruterons pour l’ensemble de nos 3 directions informatique : banque de détail, finance et marchés, et informatique Groupe.

Quels sont les grands projets sur lesquels ils vont travailler ?

Ils ne le savent pas encore mais le secteur de la banque est un grand terrain de jeu pour des informaticiens, parce que la banque c’est une industrie de données. Et que l’informaticien sait traiter de la donnée, simple ou complexe, l’organiser, la faire parler, et lui donner du sens pour servir les besoins de nos hommes de métiers. Il peut s’agir des besoins de la banque des particuliers pour répondre aux besoins des clients, des besoins de la banque de financement des grandes entreprises,  des besoins de la banque de marché, ou de l’international, car nous sommes présents dans 76 pays.

Ils vont donc travailler sur les big data ?

Oui mais pas uniquement. Egalement sur de la modélisation. Ils vont monter des modèles qui nous permettent d’approcher les risques de la banque.

En dehors des compétences techniques, quel intérêt ont ces missions ? Font-elles avancer la banque, et même la société en général ?

Les comportements clients évoluent extrêmement vite. Ils recherchent de l’accessibilité, un accès à distance à leur compte, à leurs données. Il faut donc développer tous ces services pour répondre aux besoins de notre clientèle. Tout cela repose sur une modélisation des comportements clients et sur une bonne analyse de ce qu’ils font par ailleurs de leur consommation ou autres attitudes…

Sur la banque de marché, nous avons de grandes entreprises qui nous présentent leurs projets d’investissements, et nous demandent conseil. Pour cela, on va s’appuyer sur des modèles d’appréciation du risque. Ces modèles sont alimentés par des données que nous allons chercher dans nos propres bases, mais aussi à l’externe, pour connaître les risques propres à une région, comme les risques climatiques, afin d’orienter la décision du client.

Il existe déjà une application mobile à destination des clients, qui a été réalisée en interne. Mais avez-vous d’autres projets en cours ?

Cette application est en effet une référence sur le marché. Elle s’enrichit chaque jour aux côtés des clients qui nous remontent évidemment leurs attentes. Il y a encore aujourd’hui des informaticiens qui travaillent sur cette application et ne cessent de l’améliorer. L’avenir c’est évidemment le smartphone, et nous avons beaucoup de projets autour.

La Société Générale a annoncé la fermeture de 20% de ses agences d’ici 2020, il y aura de moins en moins d’agences physiques. On peut donc imaginer que l’idée est de compenser par du virtuel ?

Nous observons que depuis que le transactionnel à distance est possible, les clients viennent moins en agences, et lorsqu’ils le font c’est pour bénéficier de conseils et d’expertises. Donc en effet notre attention est portée sur des développements concernant le transactionnel et l’accès à son compte à distance. Finalement tout ce qui sortira de la zone du conseil et de l’expertise sera développé à distance.

Revenons-en aux 500 informaticiens que vous souhaitez recruter. On le sait, ces informaticiens sont d’avantage attirés par les univers à la « Google », où le développement se fait très rapidement, où il y a du temps pour l’innovation, et où la cantine est même gratuite… ! Est-ce que vous, à la Société Générale, vous proposez le même type d’environnement de travail ?

Depuis deux ans, nous menons par exemple une expérimentation au sein d’un espace dédié, le Creative eleven – parce qu’il est au 11ᵉ étage de la tour – qui est un espace précisément inspiré des entreprises de type start-up comme Google et Facebook. Il s’agit d’une sorte de « lab », où des projets sont menés dans un mode coopératif. Des experts du métier, des experts techniques, des experts informatiques se réunissent – nous appelons cela la pizza team, car nous avons différentes composantes qui vont alimenter et co-construire le projet. Nous fonctionnons en méthode agile, c’est-à-dire que nous testons, sans attendre d’avoir un développement parfait pour délivrer.  On partage sans arrêt les résultats de chacun, ce qui est davantage motivant et responsabilisant.

Combien de personne dans ce creative eleven ?

Une trentaine. Mais cela dépend des projets. De plus il faut le mériter. Nombreux sont ceux qui souhaitent y aller… Après y être passé, les collaborateurs savent qu’ils seront extrêmement demandés par les autres Directions, car ils y auront appris un certain mode de coopération, et auront découvert des technologies de pointe. Dans ce Creative eleven il y a aussi un espace de convivialité, des espaces dédiés au one to one, des take event, où l’on ramène du savoir-faire des meetup auxquels on est allés en externe… Il y a un partage de savoir, c’est un bouillonnement, façon start-up !

La Société générale est également en train de construire un immeuble qui sera dédié à l’IT.

Ce n’est pas un immeuble mais 5, dans un espace qui va s’appeler les Dunes à Val de Fontenay. Ce sera la vitrine du digital de la Société générale. A la fin de l’année, 5 500 personnes du monde du digital et de l’IT au sens large vont s’y installer. Il y aura beaucoup d’espaces ouverts, 1 000 m2 dédiés à des start-up qui seront hébergées dans un mode de co-construction, de partages, d’échanges, avec des espaces collaboratifs, et  très peu d’espaces clos. Nous serons vraiment dans un mode nouveau et innovant.

Vous avez aussi créé un compte sur Twiter qui s’appelle « SG Insite IT » sur lequel des collaborateurs de l’IT parlent de leur quotidien.

Tout à fait. Cette idée vient du constat que les informaticiens ne connaissent pas le milieu de la banque, et s’en font même parfois une idée très fausse. Nous avions l’envie de leur montrer la réalité, de lever le voile. Et depuis un an, chaque semaine, un collaborateur IT, en France ou à l’étranger, peut faire part de son expérience via ce compte Twitter. Il est libre de ses commentaires, ce n’est pas modéré, il peut raconter aussi bien son projet du jour, une réunion, le séminaire auquel il participe, que le menu de la cantine, poster des photos… C’est quelque chose de très vivant et qui montre combien cet univers est très ouvert.

Ouvert en effet, mais pas au point que cela en devienne dangereux pour la sécurité informatique ?

Nous ne modérons pas mais nous suivons néanmoins ce qui est posté. Cela ne représente pas de risques.

Avez-vous reçu des candidatures grâce à ce compte ?

Le recrutement n’est pas aussi systématique et rapide. Il faut construire un dialogue, ce sont des choses qui se font dans la durée. Mais cela peut toujours inciter à regarder nos annonces et à y répondre… De la même façon, nous essayons d’être présents sur des sites affinitaires qui sont très utilisés par des informaticiens, qui y vont par exemple pour trouver des solutions pour débuguer leurs lignes de codes. Nous y mettons nos annonces de recrutement. Cela peut paraître opportuniste, mais nous voulons faire savoir aux informaticiens que nous avons des jobs intéressants, passionnants pour eux. Sur les messages twitter que postent nos collaborateurs IT, la fierté se ressent, cela peut vraiment être un déclencheur.

En plus de ces 500 informaticiens, vous recrutez 200 autres profils ingénieurs. Quels profils ?

Je les classerais en 3 catégories :  

- Les experts de l’appréciation des risques, aspect fondamental pour une banque : risques de contreparties, risque de marchés, risques opérationnels… Nous avons surtout besoin d’analystes, et de modélisateurs. Le règlementaire nous impose notamment des stress-test, qui consistent à pousser nos modèles pour voir jusqu’où nous serons résistants, et nos ingénieurs vont pouvoir s’ « amuser » à les réaliser. L’un d’eux m’a parlé d’ « effervescence de modèles ». La nouveauté, c’est que les informaticiens se sont rapprochés des modélisateurs, et que maintenant informaticiens et modélisateurs se rapprochent des métiers du risque, et donc comprennent mieux pourquoi on leur fait tester les modèles. Cela donne du sens et nous l’encourageons.

- Dans la banque de financement et d’investissement, nous allons encore recruter des traders.  En front-office, des traders quantitatifs, qui sont vraiment des mathématiciens. En middle-office, et en back-office nous avons également besoin d’informaticiens. La banque de financement a besoin d’ingénieurs, qui vont conseiller nos clients entreprises sur leurs investissements. Certains viennent de l’industrie et apportent un vécu précieux dans les univers-métiers de nos clients entreprises.

- Enfin, nous recrutons pour notre graduate program de l’inspection générale une quarantaine de personnes, dont des ingénieurs. Ce programme connu et reconnu est un accélérateur de carrière. Nous recevons 1400 candidatures chaque année. Pendant 6 ans, ils vont mener des missions de conseil, d’audit, en France ou à l’étranger. Six années intenses qui attirent d’ailleurs de plus en plus de femmes.

Chez les candidats ingénieurs, vous dites rechercher des profils « curieux, constructifs et solidaires ». Des qualités difficiles à prouver dans le cadre d’un entretien.  Avez-vous des conseils à donner aux candidats ?

Pour ce qui est de la solidarité, le candidat peut relater comment il a pu au cours d’expériences passées s’intéresser aux autres, leur apporter son concours. J’attends qu’on l’illustre son propos, que ce soit au travers d’une expérience professionnelle, ou pour les juniors dans la vie associative par eemple. Nous avons dans le processus de recrutement un certain nombre de tests et de questionnaires de personnalité, que nous exploitons durant l’entretien.

Pour ce qui est de la curiosité, il faut déjà que le candidat démontre qu’il a une bonne écoute. Qu’il aille plus loin que ce qu’on est en train de lui dire, qu’il pose des questions, qu’il montre qu’il est capable de surmonter la difficulté et dépasser son cadre.

Et enfin quelqu’un de constructif saura nous montrer qu’il aurait pu avancer tout seul, mais le fait différemment pour avancer au rythme des autres. Il y a beaucoup de façon de l’illustrer au quotidien, par des actes très simples.

Combien de personnes travaillent sur la sélection des candidats ?

35.

Utilisez-vous des algorithmes ou faites-vous vos sélections manuellement ?

Les deux. Nous avons des systèmes experts de matching qui nous permettent de faire une première sélection de mots clefs. Et puis nous sommes en train de tester les technologies utilisant les Big data, qui vont nous permettre d’aller vers des candidats qui n’auraient certainement jamais pensé à nous. A nous de les convaincre avec nos arguments, et avec nos métiers.

 

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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