Cécile Frutos, DRH de SGP : « On a gommé toutes les marques de pouvoir et de hiérarchie »

Sylvia Di Pasquale

[Video] Chez SGP, fini le management à la papa. Cette entreprise de 400 personnes, basée à Metz, a eu la bonne idée de révolutionner complétement sa façon de fonctionner. Depuis, elle surperforme. Cécile Frutos, la DRH explique le rôle de la DRH dans cette « libération ». Elle vient de recevoir le Prix de l’Initiative RH remis lundi 12 juin par Cadremploi, Hudson et Le Figaro.

Extraits en video ci-dessus, texte intégral de l’interview ci-dessous.

Cadremploi : Deux mots sur SGP d'abord. Vous faites de la sécurité, de la surveillance par agents, du gardiennage…. ?

Cécile Frutos, DRH du groupe SGP : … oui et dernièrement nous avons développé des activités de « rondiers ». Lorsqu’une alarme sonne, un agent peut intervenir. Ou lorsque vous souhaitez fermer votre usine, un rondier contrôle l’ensemble des fermetures et la conformité du site.

Agent de sécurité, ce n’est pas un métier qui attire…

C’est un métier malaimé effectivement. Mais nous avons des candidats. Des jeunes qui viennent chercher une première expérience professionnelle, des brevets pro qui à l’âge de 15 ans ont décidé de s’investir dans ce métier. Et des agents expérimentés qui candidatent pour un site particulier. Dans ce cas, c’est la proximité qu’ils recherchent.

Lire aussi : « Il faut libérer le dirigeant pour libérer l'entreprise »

A quoi voit-on que SGP est une entreprise différente des autres ?

Nous avons dépoussiéré le métier d’agent de sécurité. Les agents sont au cœur de l’organisation. Nous avons délégué une grande partie du pouvoir de direction aux sites. Aujourd’hui, les « leaders » sur les sites veillent à la satisfaction du client mais aussi au bien-être des salariés. C’est nouveau dans le monde de la sécurité. Ces leaders sont responsabilisés. Ils sont aussi accompagnés par des « managers qualité » (anciennement appelés contrôleurs) qui les épaulent sur le terrain.  Les « managers » ont pour objectifs d’avoir des clients contents mais aussi des salariés contents. Le contrôle coûte plus cher que la confiance.

Et au siège ?

L’ancien bureau du boss est devenu un grand open space pour les RH, c’est lui qui nous l’a laissé. Lui-même travaille en open space avec l’équipe administrative. Nous avons volontairement gardé une responsable de paie en interne afin d’en garantir la fiabilité. Nous ne contrôlons pas les horaires de travail des services administratifs qui s’autogèrent, nous faisons confiance. Nous n’avons pas de place de parking réservé : le dernier arrivé se gare dans l’herbe. Ce n’est pas la DRH qui décide de recruter ou de licencier mais les managers de terrain. On a gommé toutes les marques de pouvoir et de hiérarchie.

Comment réagissez-vous si un client est mécontent ?

Cela nous est arrivé récemment. Un agent a été défaillant une fois et le client ne voulait plus de lui. Sauf que cet agent, en 15 ans d’ancienneté, n’avait jamais démérité. La manager qualité a réalisé un gros travail de relation client et au final, l’agent a pu rester, cela s’est transformé en un avertissement. Le client a compris que nos salariés ne sont pas jetables. Que nous sommes attentifs à leur employabilité mais aussi à la stabilité de nos équipes et que ce n’est pas en remplaçant un agent que l’on améliore la prestation. C’est aussi un travail de sensibiliser nos clients sur les actes managériaux que l’on peut mettre en place ensemble.

Comment réagissez-vous si un salarié veut partir ?

On l’accompagne. J’ai besoin de flexibilité et de disponibilité. Je comprends que cela ne convienne pas au bout d’un moment. La conciliation vie perso vie pro est très difficile mais nous avons des dispositifs qui la facilitent. Chez SGP, un agent sur site qui n'est pas polyvalent peut choisir son planning en accord avec son manager. Ce n’est pas décidé par le siège. Cela permet de rendre les salariés plus autonomes et leur permet de mieux articuler leur temps personnel avec leur activité professionnelle. Les agents sont plus satisfaits et on a beaucoup moins d’arrêt maladie sur les sites.

Proposez-vous des CDI ?

Bien sûr, 70 à 80% du personnel est en CDI.

Faites-vous de la sous-traitance ?

Quasiment pas. Elle représente à peine 3% de notre chiffre d’affaires et concerne une intervention sur alarme.  

Un agent reçoit-il des formations tout au long de sa carrière ?

Oui. Des formations cœur de métier mais aussi, et c’est notre particularité, des formations transverses. Chez nous, on ne reste pas agent de sécurité à vie, on peut évoluer en manager, et même en formateur. Aujourd’hui, nous avons une école de formation interne et ce sont nos propres agents qui forment puisqu’ils ont la connaissance. On a imaginé toutes les trajectoires professionnelles qu’offrait le métier.

Un agent de sécurité passe-t-il des entretiens annuels chez vous ?

Bien sûr. C’est aussi une de nos particularités. Agent de sécurité est un vrai métier, reconnu comme tel chez nous.

Vous dites « nous avons fait un grand virage managérial chez SGP ». C’est-à-dire ?

Avant 2014, nous avions une organisation pyramidale où les services support décidaient de tout : les recrutements, la planification, etc. Il n’y avait pas non plus de reconnaissance des agents. Quand le dirigeant a abandonné son go pour faire cette révolution, il a fallu partager le pouvoir, faire confiance aux agents sur le terrain. Nous avons donc passé le témoin aux leaders, nous les avons formés. Auparavant Florian Pette, le dirigeant, se mêlait de tout. Par exemple si un client appelait parce qu’il ne voulait plus travailler avec untel, M. Pette lui disait oui sans même avoir les éléments du dossier. Aujourd’hui, il délègue, il laisse le manager gérer la relation avec le client. Il reste un support à l’aide à la décision.

Par quoi avez-vous commencé ?

Par le dirigeant, Florian Pette, le fondateur de l’entreprise. C’était en 2015. Il était en recherche d’une nouvelle formule managériale qui préserverait la satisfaction des clients tout en apportant du bien-être au travail aux salariés. Il a fallu libérer le dirigeant pour pouvoir libérer l’entreprise. Il y a eu une étape de 4 mois au cours de laquelle il a pu évoluer personnellement afin qu’il devienne le chef d’orchestre capable de faire vivre nos nouvelles valeurs.  Et de lâcher le pouvoir, de reconnaître que ses salariés sur le terrain pouvaient mieux élaborer une prestation de qualité car c’est eux qui vivent avec les clients.

Comment s’est-il laissé convaincre ?

Un matin de 2015, j’étais en train de parler avec mes collègues à la cafèt, du reportage Le Bonheur au travail que je venais de voir à la télé. Florian Pette, passait par là et a tendu l’oreille. Intrigué, il a décidé de visionner à son tour ce reportage. Le dimanche, il m’a envoyé un SMS en me disant, « c’est génial Cécile, il faut qu’on y aille ». Quelques jours après, heureux hasard, il était invité à une conférence dans laquelle intervenait Isaac Getz. Ce qui a fini de le décider. Il a offert le livre d’Isaac Getz [Ndlr : Liberté et cie, Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises, Isaac Getz, Brian Mc Carney, Fayard) à l’ensemble des collaborateurs des services support. Et on a commencé à parler d’entreprise libérée.

Il lui a fallu abandonner son ego…

Il a beaucoup lu, s’est beaucoup nourri d’exemples d’entreprises. Et il s’est fait accompagner par un coach, Laurent Marbacher, qui connait bien ce type de démarche. Car le concept est transposable mais chaque entreprise doit chercher sa propre libération. Monsieur Pette était soucieux de satisfaire les clients d’abord. Il est commercial de formation, donc il faut savoir lui parler chiffres, marges, rentabilité, clients… Finalement, le bonheur au travail et l’entreprise libérée, c’est la vulgarisation des théories sur la motivation que nous apprenons en RH, qui peuvent parler à tout le monde. Et en plus, avec des exemples d’entreprises qui ont réussi.

Pourquoi avoir organisé un événement « Libère ta boite » ?  

Cela a été l’événement fondateur, fin septembre 2015,  auquel nous avons convié une grande partie des salariés. Tous ne pouvaient pas y assister car il fallait continuer à assurer notre service sur les sites. C’est l’avis du terrain que nous cherchions à faire remonter. Tous ensemble, nous avons travaillé sur les sujets prioritaires pour faire évoluer les pratiques professionnelles.

Lesquelles ?

La tenue, la formation, la communication… tout a été mis sur la table.

Et qu’est-ce que les agents vous ont demandé de ne pas changer ?

La proximité, l’écoute, la réactivité de certains services que nous avions déjà avant.

Et ensuite ?

Nous continuons à fonctionner en atelier collaboratifs. Nous avons maintenant 18 mois de recul.

Quel bilan faites-vous après 18 mois de « libération » ?

Cette libération est rentable. Notre turnover est 3 fois inférieur à la moyenne nationale, 19 % au lieu de 60 %, ce qui signifie que les agents se plaisent chez SGP. Nous étions 185 en 2014, nous sommes 400. Et avec 30 % de croissance depuis la création, nous faisons partie du palmarès 2017 des Echos sur les champions de la croissance. De plus, 98 % des clients sont fidèles. Et nous n’avons pas un seul dossier auX prud’hommes…

Est-ce que vous recrutez ?

Oui. Essentiellement des agents sécurité pour l’Est et le Nord de la France, Dole, Besançon, Alsace, Lille, Amiens, Calais notamment. En CDI et en CDD. La DRH organise des sessions de recrutements mais ce sont les leaders de chaque site qui choisissent les candidats car ils connaissent mieux leurs besoins. Plutôt que d’imposer quelqu’un qu’ils n’auraient pas forcément choisi, c’est eux qui décident. Comme ils ont plus de responsabilités, ils ont envie que le recrutement réussisse.

Et des profils cadres ?

Assez peu car nous favorisons plutôt la formation interne mais cela nous arrive d’en recruter. Nous recherchons actuellement un commercial pour notre centre de formation.

Quel est l’avenir de votre profession ? Est-elle menacée par les robots ?

Je ne crois pas car il faudra toujours des agents de sécurité qui devront surveiller ces robots… Nous pensons que c’est un métier en révolution : certaines missions de la Police municipale notamment pourrait être confiée à des entreprises privées comme les nôtres. Nous devrons également nous adapter aux nouvelles technologies.

Qu’est-ce qui va attirer les candidats chez vous demain ?

La liberté d’action que nous offrons, le bon équilibre de vies pro et perso que nous permettons. Et les possibilités d’évolution que nous offrons. Chez SGP, les salariés sont considérés comme des adultes, ils sont capables d’assumer des responsabilités au quotidien.

A quelle condition d’autres DRH pourraient libérer leur boîte comme vous l’avez fait ?

Le plus difficile, c’est d’obtenir le partage du pouvoir du dirigeant et du codir. C’est de leur faire dire « je ne décide plus », je n’ai plus la main sur tout. Les salariés voudront toujours avoir plus de pouvoir de décision. Ils sont demandeurs ! C’est l’équipe dirigeante qui l’est moins.

Etes-vous une entreprise totalement libérée ?

Le processus n’est pas fini, on pourrait aller beaucoup plus loin. Mais si on n’avait pas entamé ce processus, on n’aurait pas ces résultats, ni autant de gens heureux de venir au travail.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

Vous aimerez aussi :