Laure Closier : « On n’a plus besoin de listes pour trouver des femmes “awardisables” »

Sylvia Di Pasquale

Le 5 décembre dernier, six dirigeants ayant marqué l’économie française ont été distingués lors de la 19e édition des BFM Awards. Laure Closier, anchorwoman de la matinale de BFM Business, co-animait cette cérémonie. Elle revient pour Cadremploi sur cette soirée qu’elle estime marquante pour la parité.

Laure Closier, co-animatrice des BFM Awards 2023

Laure Closier : « On n’a plus besoin de listes pour trouver des femmes “awardisables” »
Laure Closier, co-animatrice des BFM Awards 2023

Cadremploi : Le manager de l‘année distingué par les BFM Awards 2023 n’est pas une femme. Etes-vous déçue ?

Laure Closier : Je ne suis pas déçue pour deux raisons. Nous avons vécu une soirée où autant d’hommes que de femmes sont montés sur scène.  On a changé de dimension par rapport aux années précédentes où des hommes remettaient des prix à des hommes... Plus sérieusement, deux femmes sur six lauréats, c’est une étape et je pense qu’on y sera l’année prochaine.  En 2023, le vivier de femmes dirigeantes existe, elles se sont fait une place y compris dans des secteurs hyper masculins comme l’industrie, la santé, l’informatique, l’agro. Et elles osent se mettre en valeur. Le message est fort.

Palmarès 2023 des BFM Awards 2023

  • Prix de la transformation digitale : Olivier Laureau, président du Groupe Servier
  • Prix de la conquête à l’international : Philippe Delpech, directeur général de Sonepar
  • Révélation de l’année : Eléonore Crespo, cofondatrice de Pigmen
  • Prix de l’entrepreneur de l’année : Xavier Barbaro, directeur général de Neoen
  • Prix de la transmission familiale : Anne-Charlotte Fredenucci, présidente d’Ametra
  • Grand Prix du manager de l’année : Ben Smith, directeur général d’Air France

La révélation de l’année est une femme. Est-ce qu’il a fallu forcer le destin ?

L.C. : Pas du tout ! C’était une évidence. La performance d’Eléonore Crespo est dingue, ses levées de fonds pour Pigment aussi, c’est la seule femme du Next40, je ne vois pas qui d’autre – à part peut-être Mistral AI – aurait pu être distingué cette année. Idem pour le prix de la transmission familiale remis à Anne-Charlotte Fredenucci. On a dépassé l’ère où on doit faire des listes pour trouver des femmes “awardisables”. Parmi les remettantes aussi (Sophie Bellon, Estelle Brachlianoff, etc.), on n’a pas eu à chercher quelles dirigeantes allaient monter sur scène.

 

Que représente Anne-Charlotte Fredenucci, l'une des deux lauréates, pour le monde du business ?

L.C. : Anne-Charlotte Fredenucci , c’est l’héritière qui a réussi alors qu’elle a toujours été considérée comme un plan B par son propre père. Elle a dit : « J’ai toujours entendu mon père dire qu’il aurait bien aimé avoir un fils pour reprendre ses entreprises ». Il a dû se résoudre à lui faire confiance parce qu’il n’avait que deux filles. C’est très fort… S’imposer à la tête de l’entreprise lui a pris des années et ça a été très compliqué Elle a doublé le chiffre d’affaires depuis qu’elle a repris les rênes et je pense que, quinze ans plus tard, elle est enfin sereine. Ce que j’adore, c’est qu’elle est très claire dans son discours : elle dit sans détour qu’être une femme dans le milieu de l’armement, ça lui sert pour le business. Comme elle est souvent la seule femme patronne, elle se retrouve au centre de la photo et ça met en valeur Ametra. Côté face, elle reconnait aussi qu’on la prend régulièrement pour la fille de l’accueil.

Et Eleonore Crespo, la Révélation de l'année ?

L.C. : Elle n’a peur de rien. C’est une storytelleuse hors pair. Sa boîte est somme toute banale mais elle réussit à en parler comme d’un projet qui va changer la vie des gens. Pigment est né pour ringardiser Excel et elle le vend très bien.

 

A la différence de certains dirigeants invités sur le plateau de BFM Business qui peinent à parler de leur entreprise…

Je confirme ! Parfois ils ont été sur-préparés par leur dicom mais mal. Ils sont cadenassés par le media training, stressés par les éléments de langage qu’on leur a demandé de caser et qui rendent leurs propos complètement artificiels.

 

Il faut parfois les aider à rendre leur entreprise intéressante ?

L.C. : Ce n’est pas notre rôle de journaliste mais on s’y résout parfois parce qu’on pense à notre public. Si les interviewés ne trouvent pas le fil à tirer dans leur histoire, tout le monde s’ennuie. Je trouve que les patrons sont globalement mal entourés. Il y a quelque chose de ringard dans l’idée de débiter des discours insipides ou de faire de la promotion autocentrée… . Alors qu’il peut y avoir des histoires incroyables à raconter, même sur des logiciels comme Pigment.

Le changement interviendra un peu grâce aux Etats - en termes de régulation - un peu par les particuliers - en tant que consommateurs - et beaucoup grâce aux entreprises. Ce sont elles qui vont changer le monde. Par la valeur qu’elles créent, par leurs ambitions en termes de neutralité carbone, par leurs capacités d’innovations, par leurs influences sur les décisions politiques et règlementaires, par leur aptitude à engager leurs collaborateurs, leurs clients, leur écosystème.
Laure Closier et Christophe Jakubyszyn, co-animateurs des BFMAwards, dans leur édito sur les BFM Awards

Avec Christophe Jakubyszyn, vous écrivez que les entreprises peuvent changer le monde, parfois plus que les états et les particuliers. Vous pensez que l’entreprise a ce super pouvoir, vraiment ?

L.C. : Oui je le pense. Certaines protections sociales d’entreprises sont en avance par rapport aux normes sociétales. Je pense à celles proposées par Kering ou Véolia à leurs salariés dans le monde entier ; en Inde par exemple, les salariés de Véolia sont couverts comme s’ils étaient à la sécu française ! C’est le cas aussi dans plein d’autres boîtes du CAC40. Autre exemple : quand on voit l’impact d’une décision de Total sur le monde, on a intérêt à s’assurer que Pouyanné saisit bien l’urgence de la décarbonation. Selon moi, notre sort est beaucoup plus entre les mains du patron de Total ou de Xavier Barbaro que de celles de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. En termes de pouvoir, ça n’a rien à voir.

 

Et pour les autres sujets de société qui impactent l’entreprise en interne, comme la lutte contre le racisme, la radicalisation de certaines personnes, le bon usage de l’IA, la décarbonation… Que peut vraiment l’entreprise ?

L.C. : Faire changer des comportements individuels, c’est compliqué. D’autant que l’entreprise a souvent peur de sanctionner certains comportements. Y compris des déviances de managers.  

 

Et face à l’IA qui déferle, qu’observez-vous chez les dirigeants ?

L.C. : Maurice Levy estime qu’on est potentiellement sur le même sujet que le nucléaire : un truc phénoménal avec lequel il y aura des excès mais ce sera une révolution du même ordre.

Les dirigeants sont-ils au niveau pour gérer cette révolution ?

L.C. : Je vois les deux. Certains sont dépassés par la portée éthique de l’outil et répondent des choses complètement bateau.  D’autres, comme la DSI de Servier qui a reçu le Prix de la transformation digitale, sont au contraire très au point. C’est rassurant. 

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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