Recrutement dans le métavers : ce qui attend les candidats (ou pas)

Sylvie Laidet et Sylvia Di Pasquale

TENDANCES – Préparez vos avatars et vos casques de réalité virtuelle ! Les métavers sont en construction et il n’est pas impossible que vous passiez un jour vos entretiens d'embauche dans l’un de ces univers immersifs. Nous avons interrogé des experts sur l'avenir du recrutement dans les métavers, les avantages et les inconvénients possibles pour les candidats, mais aussi sur la maturité des employeurs français ne serait-ce que sur le sujet. En bref, voici des infos pour vous éclairer sur ce futur possible.

Dans son film Ready Player One, Steven Spielberg donne à voir la vie dans un métavers.

Recrutement dans le métavers : ce qui attend les candidats (ou pas)
Dans son film Ready Player One, Steven Spielberg donne à voir la vie dans un métavers.

Ils témoignent

 

  • Charlotte Gouiard : Responsable RH Tech & Expérience candidats, elle est en charge du développement de carrière des talents tech et actuaires, ainsi que des relations écoles et du recrutement des juniors de Mazars en France.
  • Emmanuelle Blons : Vice-Présidente Associée chez Infosys. Depuis plus de 20 ans, elle intervient en conseil en stratégie et management sur des sujets de transformation vers de nouveaux modèles d’opérations (digital, IA). Spécialiste RH, elle cible particulièrement l’aspect humain des transformations, convaincue que les transformations majeures sont humaines, culturelle et sociétales avant d’être technologiques. Elle a publié L’Entreprise disruptée, les défis de l’IA pour les RH (Dunod 2019). Elle est membre de « Women in AI », de « Hub France IA », de « AI Alliance Consultation - Futurium » à la Commission européenne.
  • Florence Villedey : Directrice de l’innovation, de l’offre et des nouveaux marchés au sein du groupe Demos. Sa mission consiste à cultiver un écosystème qui favorise l’innovation appliquée à la formation professionnelle.
  • Edouard Bliek : Directeur des opérations de StedY. Il est en charge du développement et de la stratégie de cette jeune ESN du conseil numérique portée par un concept innovant et disruptif, intégrant à la fois de l’intelligence artificielle et de l’automatisation.

 

Définition : c’est quoi le « métavers » ?

Le mot « métavers » est la contraction de « méta » (au-delà) et de « univers ». Ce terme désigne donc un univers numérique parallèle, immersif, persistant et partagé, accessible avec des équipements connectés (un casque ou des lunettes de réalité virtuelle). Concrètement, pour pénétrer ces univers, on se choisit un avatar et hop, c’est parti pour échanger, jouer, travailler et socialiser dans un univers virtuel, capable d’analyser nos gestes, notre respiration, nos battements de paupière…

Quand est apparu le mot « métavers » ?

Le mot metaverse est apparu pour la première fois en 1992 :

•      dans le roman Snow Crash, (Le samouraï virtuel) de Neil Stephenson. Les citoyens y explorent un monde virtuel en ligne via leurs avatars numériques. Un moyen pour eux d’échapper à une réalité anxiogène

•      Le terme métavers a connu une première heure de gloire avec le jeu Second Life au début des années 2000. Mais rien de comparable avec le battage dont il fait l'objet depuis que Mark Zuckerberg a annoncé qu'il allait en faire le pivot de « l'Internet du futur ».

•      On peut voir un métavers dans Ready Player One, le film de Steven Spielberg :

Qui bâtit des métavers en 2022 ?

 

Facebook/Meta

Parmi les grands acteurs en train de construire des métavers, il y a évidemment Facebook. Qui a d’ailleurs changé son nom pour devenir Meta avec l’idée de faire muter son réseau social en métavers. Le boss, Mark Zuckerberg, explique :

 

Le métavers sera une plateforme immersive où vous pourrez presque tout faire : vous réunir avec vos amis, votre famille, travailler, étudier, jouer, créer…Le métavers sera le successeur de l’internet mobile. On pourra se sentir en présence des autres, malgré la distance. En réunion, vous aurez l’impression de partager un espace, d’échanger de vrais regards et non pas juste de fixer des visages sur un écran. Ce qui déverrouillera plein de nouvelles expériences
Mark Zuckerberg

Ça en jette sur le papier, non ? Pour les entreprises, la plateforme Horizon Workrooms existe depuis juillet 2021 :

Epic Games

« MZ » n’est pas le seul à lorgner du côté de la manne des métavers. Il y a également Epic Games, le créateur de Fortnite, qui a un gros train d’avance par rapport à Facebook ! Il  a levé 1 milliard de dollars en avril 2021 afin de transformer son jeu en métavers.

Roblox

Dans les starting-blocks, on retrouve aussi un autre éditeur, Roblox, qui veut faire évoluer ses jeux en ligne vers des relations comme dans la vraie vie. On le connait moins car il s’adresse aux moins de 15 ans maos ce n’est pas un petit acteur : avec ses 115 millions d'utilisateurs, près de 30 milliards de valorisation boursière, 20 millions de jeux, il risque de peser dans le game.

 

OVR

La plateforme numérique OVR, née en 2018, a créé un double numérique de la planète où l’on peut acheter des terrains, des monuments célèbres comme la Tour Eiffel, ou créer des événements virtuels grâce à la réalité augmentée.

 

Microsoft

 

L’éditeur de Windows n’est pas en reste et a annoncé vouloir transformer son application de visioconférence Teams en métavers, en priorité pour les entreprises. Leur solution s’appelle 3D Mesh

 

Disney

Et puis bien sûr, Disney (avec sa gigantesque galerie de personnages Marvel, Pixar, Disney, Star Wars, 20th Century Fox etc.) se pique également au jeu. EN novembre 2021, la compagnie a annoncé vouloir se lancer dans la course au métavers en connectant ses mondes physiques et numériques. Demain, vous serez peut-être recruté par Mickey, qui sait ?

Serez-vous un jour recruté en passant par un métavers ?

 

OUI mais pas tout de suite

Pour l’instant, il n’existe pas d’initiatives de recrutement dans le métavers en tant que tel. Mais vu la guerre des talents, cela ne serait tarder. «Ça bouge sur la partie e-commerce et le e-marketing, avec des entreprises qui réfléchissent à créer des métavers pour engager leurs consommateurs. Quand elles auront un cœur métavers dédié au e-commerce, elles pourront y bâtir des briques RH et recrutement par-dessus », prédit Emmanuelle Blons.

Et les premières entreprises à proposer ce type d’expérience marqueront des points auprès des candidats. Notamment auprès des plus jeunes, déjà rompus à ces univers virtuels via leur pratique assidue de jeux vidéo.

En termes de marque employeur, les métavers seront utilisés pour se faire connaitre et notamment pour toucher les millenials. Un bon moyen de se différencier des autres employeurs.
Charlotte Gouiard, responsable RH Tech & expérience candidats, Mazars

« Cela pourrait être un argument différenciant et de séduction pour les candidats dans les métiers tech. Une sorte de prime à l’innovation, renchérit Edouard Bliek.

OUI mais pas uniquement via les métavers

Tous nos experts sont unanimes sur le sujet. L’humain doit conserver le final cut dans un processus de recrutement. «Les métavers peuvent faire partie d’un processus de recrutement, mais se rencontrer en chair et en os, restera capital pour se jauger et voir si l’envie de travailler ensemble est réelle. Je vois ça davantage comme de la marque employeur », explique Charlotte Gouiard.

Pour Edouard Bliek de Stedy, « pour que cela serve réellement à quelque chose, il faudra que les métaverses soient ultra contextualisés par les entreprises. Qu’ils ne servent pas juste à faire des entretiens dans un univers virtuel mais plutôt à faire résoudre des cas pratiques aux candidats, en étant capables d’analyser leurs faits et gestes en situation de stress. A moins de s’appeler Google, Apple ou Microsoft pour investir dans des univers sur mesure, je crains que les entreprises lambda n’aient jamais réellement les moyens d’investir dans ces univers virtuels. Si les métavers restent au niveau de simples salles d’échange entre avatars, on sera juste dans la gamification du recrutement. Et en termes de valeur ajoutée,  les RH n’auront pas grand-chose à en attendre ».

Et pour Emmanuelle Blons, « le métavers ne pourra pas être le seul et unique moment d’interaction avec le candidat. Il faudra mixer pour s’appréhender l’un l’autre ».

 

Pourrez-vous prendre un avatar punk pour passer un entretien dans le métavers ?

Oui et c’est justement le principe. Licorne, punk, poulpe, fée clochette, fille, garçon, transgenre… vous pourrez choisir l’avatar qui vous sied. Le recruteur aussi. « Se faire passer pour une fille alors qu’on est un garçon, si tout le monde joue le jeu, ce n’est pas gênant », estime Charlotte Gouiard. Reste à savoir si le candidat avatar tranquille derrière son écran, sera bien le vrai candidat. Et pas un ami plus calé que lui qui prendrait sa place. Seuls les entretiens in real life en face à face permettraient de démasquer la supercherie.

 

Postuler dans le métavers, ça pourrait concerner tous les métiers ?

Oui tous les métiers. Des candidats DAF, consultants, commerciaux, ingénieurs, techniciens… peu importe.

« Dans les métavers, il sera possible de simuler de multiples situations et d’analyser les réactions du candidat. Donc, oui cela peut servir de vrai assessment », plaide Emmanuelle Blons. « Pour les métiers industriels ou du care, cela pourrait permettre de réaliser des tests en sécurité par exemple le plus proches possible de la réalité. Et ce, sans prendre de vrais risques », illustre Florence Villedey de Demos.

 

Postuler dans le métavers, cela ne risque pas d’engendrer de nouvelles formes de discrimination ?

Eviction technologique ?

Pour évoluer dans un métavers, il faudra par exemple un casque de réalité virtuelle, où un masque dans lequel glisser son téléphone portable. A la portée de tous ? Pas vraiment, du moins pas dans l’immédiat. «La fracture digitale existe déjà entre les candidats. C’est un point de vigilance pour les 10-15 prochaines années, mais par la suite, cela devrait se démocratiser. Ces technologies sont également très gourmandes en bande passante. Il faudra activer la 5G et certaines géographies n’ont pas accès à ce réseau », explique Emmanuelle Blons

Discrimination par l’âge ?

Les jeunes rompus aux jeux vidéo seront évidemment très à l’aise dans les métavers. Quid des candidats plus seniors ? « Il y a des publics plus ou moins à l’aise avec ces univers. Mais ce n’est pas parce que l’on est très expérimenté que l’on n’a pas envie de se projeter dans un métavers », insiste Charlotte Gouiard.

Ouverture à davantage de candidats ?

« Dans le métavers,  on s’affranchit de la géographie. Cela donne accès à un « talent pool mondial », donc ça ouvre grand les portes. Avec les avatars, on s’affranchit également de tous les biais cognitifs de genre, d’apparence… », plaide Emmanuelle Blons. Et de citer l’exemple du recrutement d’un commercial par L’Oréal en Chine. « Après avoir détecté des compétences et des savoirs faire que l’humain n’auraient jamais vu, l’intelligence artificielle a short listé une avocate. C’est aujourd’hui l’un de leurs meilleurs commerciaux ».

 

L’intelligence artificielle mise au service des métavers ne risque-t-elle pas d’être discriminante ?

« Il n’y a rien de plus humain qu’une intelligence artificielle car les données proviennent des hommes et c’est un humain qui code. Tout ce qui est mauvais dans l’humain va donc se retrouver dans l’intelligence artificielle. Pour éviter ces biais, il faut donc en permanence vérifier comment est construit l’algorithme. Et les données d’entrainement doivent être variées. L’explicabilité de l’IA est essentielle et notamment au niveau des RH. On reste dans un monde d’humain qui utilise des machines. Et pas l’inverse », conclut Emmanuelle Blons.

Mazars expérimente une intelligence artificielle pour sélectionner ses futurs auditeurs

L’objectif ? Tester les soft skills d’environ 10 000 candidats de la branche audit, quelle que soit leur école de provenance , via un jeu basé sur l’IA développé par Goshaba. « Nous souhaitons faire émerger des talents cachés car jusqu’à présent on sélectionnait sur le diplôme et le parcours. Mais c’est insuffisant et pas toujours satisfaisant », plaide Charlotte Gouiard, responsable RH Tech & Expérience candidats chez Mazars France.

Comment ça se déroule ? Les candidats passent 6 épreuves sous forme de jeu en ligne afin de tester leurs soft skills : empathie, capacité d’analyse, , multitasking, adaptabilité, travail en équipe… Cette sélection se déroule avant même l’ouverture des CV, donc ouvert à tous les candidats.

Le résultats attendus ? Les candidats recevront un mini compte-rendu de leur profil soft skills et des points d’amélioration à travailler. « Nous fournirons les résultats de ces tests IA ludiques à nos opérationnels afin d’essayer de les convaincre que ces profils sont largement au niveau », conclut-elle.

Franprix utilise déjà la réalité virtuelle pour former ses salariés à distance

A raison de 3000 recrutements en CDI par an, Franprix propose une formation digitale pour ces nouvelles recrues en magasin. C’est finalement l’offre immersive de Pitchboy qui a été retenue. Concrètement, le nouveau collaborateur est immergé dans une simulation de conversation 360° reproduisant l’environnement de travail d’un Franprix. En face de vraies personnes et dans de vrais rayons, tout à distance, il est mis en situation de rayonnage, d’encaissement, de conseil et d’orientation d’une cliente en rayon. Il donne ses réponses en live en parlant tout simplement. Et une voix off artificielle lui fait un feed back. A la fin, il obtient un score qu’il pourra améliorer si nécessaire en se relançant dans ce parcours d’intégration.

Retrouvez notre webinar IA, MÉTAVERS ET AUTRES UNIVERS VIRTUELS Quel avenir pour les recruteurs ?

 

Sondage Ifop pour Talan : ce que les Français pensent des métavers

Sylvie Laidet et Sylvia Di Pasquale
Sylvie Laidet et Sylvia Di Pasquale

Sylvie Laidet, journaliste indépendante, réalise des enquêtes sur le monde du travail. Sylvia Di Pasquale est rédactrice en chef de la partie Actualités de Cadremploi.

Vous aimerez aussi :