« Working » : 5 raisons de plonger dans la série documentaire Netflix signée Barack Obama

Michel Holtz

SERIE DOCUMENTAIRE NETFLIX - La série documentaire « Working : Passer sa vie à la gagner » est disponible depuis le 17 mai sur la plateforme Netflix (sous-titres disponibles en français). Son auteur n’est pas un inconnu : Barack Obama himself. Il y suit ouvriers, employés, cadres et dirigeants pendant leur travail et les interroge sur le sens qu'ils y trouvent. L’ex-président ne donne pas de leçons mais donne à voir : à la fois l’ascension sociale des uns mais aussi les dégâts de l’implacable montée des inégalités qui impactent la vie des autres. Aux Etats-Unis comme ailleurs. Voici 5 raisons de se plonger dans cette subtile introspection.

L'ex-président interviewe des Américains au travail dans trois industries différentes et documente les mutations en cours. Voici 5 raisons de se plonger dans ce judicieux documentaire.

La patte Obama

On l’entend en voix off. On le découvre poussant un caddy avec une travailleuse sociale, écoutant de la techno avec un employé de start-up ou arpentant les vestiaires des femmes de ménage d’un palace. Et c’est là que réside l’intérêt de retrouver l’ex-résident de la Maison blanche en intervieweur : avec une empathie naturelle qui met tout le monde à l’aise – femme de ménage comme grand dirigeant de conglomérat –, il obtient des confidences loin, très loin, de l’enfilage de perles. Alors bien sûr, il n'a pas mené tous les entretiens mais ses séquences donnent le ton.

Il me faut 30 à 40 minutes pour nettoyer chaque pièce. 15 chambres par jour. Parfois si vous saluez quelqu'un dans les couloirs, il ne répond pas.(...) Parfois les clients laissent 5 ou 10 dollars. Je suis heureuse de voir la reconnaissance des clients. Mais je ne travaille pas pour les pourboires. Je ne me soucie pas trop de l'argent car je peux compter sur mon salaire.
Elba Guzmàn, femme de ménage depuis 22 ans à l'hôtel The Pierre, New York

A travers leurs parcours hétéroclites, on découvre un tableau humaniste et sans tabou du monde du travail de 2023. Quand l’ex-résident de la Maison Blanche prend le sujet du travail comme objet d’étude, il ne le fait ni en économiste, ni en historien, ni en sociologue et surtout pas en président des États-Unis, mais en observateur de ce qui a changé, et s’est beaucoup détérioré, aux Etats-Unis comme dans le monde entier.

Dans un bon boulot, on est heureux et on a le temps d’être quelqu’un.
» Carmen Smith, livreur Uber Eats et maquilleuse, dans "Working", épisode 1

La diversité des voix

La série en quatre épisodes disponibles sur Netflix donne la parole à des Américains très différents via un principe imparable : une classe sociale par épisode.

Aux ouvriers des emplois de service succèdent les employés, les cadres et les dirigeants, tous issus de trois entreprises différentes :

  • un palace de New-york (The Pierre)
  • une entreprise d’aide à domicile du Missouri (At Home Care)
  • et une start-up devenue licorne de Pittsburgh (Aurora, spécialisée dans la voiture autonome).

Barack Obama n’a pas inventé ce concept : il s’est inspiré d’un livre qu’il lisait étudiant et qui portait le même titre, "Working, . Signé Studs Terkel, figure de la gauche américaine des années 70.

 

Un jour, alors que j’étais à l’université, je suis tombé sur ce livre. C’était une chronique de gens issus de tous horizons et de leur vision du travail. (…) C’était la première fois que l’on interrogeait des gens ordinaires sur ce que le travail signifiait pour eux. C’est à ce moment-là que je me suis intéressé au travail que j’allais faire. On était dans les années 70, une nouvelle ère d’automatisation, de concurrence mondiale et de fabrication à l’étranger. Des forces énormes impactant la vie des gens. Sur fond de nouvelle culture d’entreprise obsédée par le profit. 50 ans plus tard, nous vivons un autre bouleversement. L’intelligence artificielle. Le télétravail. La montée en flèche des inégalités.
Barack Obama, dans le documentaire Netflix "Working : passer son temps à la gagner", 2023

Un éclairage concret des mutations du travail en cours

Du bas de l’échelle jusque tout en haut, l’ex-président observe et s’interroge. Pourquoi les inégalités se multiplient-elles ? Pourquoi les jobs essentiels sont-ils les plus mal payés ? Pourquoi l’ascenseur social est-il en panne ?

Pour avancer son explication, Barack Obama reprend une démonstration que le New York Times avait faite en 2017, avec l’exemple de Gail Evans. Elle était agent d’entretien chez Kodak dans les années 80, un des leaders technologiques de l’époque. Salariée à temps plein, elle avait une couverture médicale, quatre semaines de congés payés par an, une prime tous les mois de mars et avait ainsi les moyens de se payer des cours du soir. Elle a fini par devenir … CTO de Kodak.

Gail Evans
Bien sûr, c’est 1 histoire sur 1 million mais c’est arrivé car son travail lui a offert la chance d’intégrer une communauté plus large et de créer quelque chose. Regardons le cas d’un agent d’entretien en 2023. Vous nettoyez le siège d’un des leaders technologiques actuels. Vous travaillez DANS l’entreprise mais pas POUR elle. Vous êtes embauché par un entrepreneur pour un salaire minimum sans avantage sociaux ni congés payés. Vous travaillez de longues heures dans des bureaux vides, donc vous n’avez aucun contact avec les autres employés. Vous êtes invisible. Au lieu d’un travail, il vous en faut deux ou trois pour joindre les deux bouts.
Barack Obama, dans le documentaire Netflix "Working : passer son temps à la gagner", 2023

En quarante ans, les entreprises se sont converties à la sous-traitance des tâches qu’elles estiment éloignées de leur cœur de métier. Une doxa managériale qui a permis aux entreprises de maximiser leurs profits mais a creusé un peu plus les inégalités entre salariés, devenus des « coûts à minimiser ».

Aujourd’hui, de nouveaux choix industriels mettent en danger l’avenir du travail et des millions de salariés avec : l’automatisation, l’intelligence artificielle, le télétravail.

Une introspection sur le sens donné au travail

« Dans ma génération, on travaillait d’abord et on cherchait un sens après » dit l’ex-président dans l’un des épisodes de la série, ajoutant, sans juger, qu’« aujourd’hui, c’est l’inverse ». Pour les protagonistes, il varie selon leur statut et leur niveau de précarité. Pour les moins bien payés, 9 euros de l’heure pour cette aide à domicile, la quête de sens est simple et rationnelle : « on veut juste un boulot, pas un job de misère qui ne paie pas et nous use jusqu’à la moelle ».

Dans un bon boulot, on est heureux et on a le temps d’être quelqu’un »
Carmen Smith, livreur Uber Eats et maquilleuse professionnelle. Extrait de "Working"

Pour cette livreuse Uber Eats, son épanouissement n’est pas dans ce job alimentaire, mais dans sa véritable passion, le maquillage professionnel, qui ne lui rapporte pas encore assez mais dans lequel elle met tous ses espoirs.

Ce cadre moyen d’Aurora, lui, est pragmatique. Après avoir renoncé à une carrière dans la musique, il apprécie de travailler en freelance dans la start-up qui lui a permis d’acheter une maison, et de continuer à exercer sa passion dans le sous-sol, où Obama vient écouter ses boucles techno. L’argent reste donc essentiel à sa réalisation personnelle « il ne fait pas le bonheur, mais il donne les moyens de le trouver », estime le col blanc d’Aurora.

Mais plus on s’élève dans la hiérarchie, plus la quête de sens semble avoir le goût des autres.  Natarajan Chandrasekaran, CEO du groupe indien Tata, propriétaire de The Pierre, ne parle plus que de ses collaborateurs, qu’il veut rendre heureux au travail, tout comme Chris Polge, le fondateur d’Aurora. Même si son frère lui reproche de ne pas se rendre assez disponible pour les autres, justement.

La qualité de la réalisation

Barack Obama a fait appel à la réalisatrice américano-coréenne Caroline Suh qui n’en est pas à son coup d’essai.  Elle nous immerge dans un cinéma vérité, caméra à l’épaule, profondément humain. Avec ce parti pris technique, elle cherche à capter les gens sans artifice et sans les idéaliser. Elle préfère les témoignages et les tournages sur les lieux de travail plutôt que les commentaires ou les tournages en studio. L’interviewé peut ainsi s’exprimer spontanément, sans script écrit à l’avance. Caroline Suh a choisi de travailler avec Luke McCoubrey, un directeur de la photo dont elle apprécie les partis-pris sombres et le travail sur les contrastes.

 

L’ex-président les écoute, s’interroge et interroge les inégalités qui se sont creusées au fil des années, en évoquant un new deal qui serait nécessaire à nouveau, des marchés qui se sont déployés et ont pris le contrôle de l’Amérique et du monde depuis les années 80. Depuis, rien n’a changé et tout s’est aggravé – même sous les deux présidences de Barack Obama, entre 2008 et 2016.

Michel Holtz
Michel Holtz

Journaliste économique et social, Michel Holtz scrute les tendances de l’emploi, du management et de la vie professionnelle des cadres, toujours à l’affût des nouveaux outils et des dernières transformations de la vie au travail.

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