Adieu vieilles lunes !

Sylvia Di Pasquale

EDITORIAL – Parler boulot pendant les repas de fêtes de fin d’année, vous n’y pensez pas ? On y pense et on a même repéré un sujet de conversation pour ambiancer l'assemblée. Non, ce n’est ni la campagne électorale, ni le pass vaccinal. C’est l’histoire de Stéphanie Hein, 30 ans, « fière d’être bouchère ». Son parcours dézingue tous les vieux clichés qui encombrent encore les esprits en ce début de 21e siècle à propos du travail. Parler de son histoire, c'est l'occasion de les dépoussiérer. Et la promesse d'une soirée inoubliable.

En 2022, ouvrons-nous aux nouvelles lunes. Dessin original de Charles Monnier pour Cadremploi.

Adieu vieilles lunes !
En 2022, ouvrons-nous aux nouvelles lunes. Dessin original de Charles Monnier pour Cadremploi.

Evoquer le travail pendant les longs repas de Noël et du nouvel an est une bonne manière d’éviter le pugilat politique entre le tonton réac et le neveu zadiste. Et puis le boulot c’est une sacrée tranche de vie pour les seniors qui en sortent comme pour les juniors qui y entrent. En plus, si la discussion tourne vinaigre entre les vieux qui expliquent que c’était mieux avant, et les jeunes qui leur rétorquent que nombre de boulots n’ont pas de sens, il suffit de leur faire la lecture.

L’article de notre confrère Frédéric Pottet dans Le Monde raconte l’histoire de Stéphanie Hein, bouchère et formatrice de jeunes bouchers en Indre-et-Loire. 

« Fière d’être bouchère »

Celle qui a dû envoyer 250 lettres avant de décrocher un apprentissage dans une chaîne de supermarchés, s’est battue dans un monde d’hommes parfois « graveleux », mais elle a également croisé des professionnels et des maîtres d’apprentissage qui n’ont cure de l’origine et du sexe de ceux qu’ils forment. Non seulement l’histoire de la jeune femme donne quelques inavouables envies de gigot d’agneau au beurre d’anchois, mais en plus, le parcours de la bouchère est un cinglant démenti à toutes les pensées toutes faites et à tous les préjugés cousus du fil dont on pare les rôtis. Et qui ressurgissent (malheureusement) à l’occasion des repas de familles. 

  Définition : Une vieille lune, se dit de ce qui semble appartenir à des temps reculés, à une époque révolue. "Renvoyer aux vieilles lunes" signifie rejeter comme démodé, désuet, périmé.

 

Vieille lune n° 1 : Le travail  manuel n’attire plus 

Ces vieilles lunes qui disent que le travail manuel n’attire plus, Stéphanie les contredit : elle a entamé un BTS de comptabilité avant d’opter pour la boucherie, ses couteaux, sa dextérité et sa feuille à trancher. Ce qui n’attire pas les jeunes en général vers ces métiers exigeants – dans des chambres froides, sur des chantiers ou dans des tours de La Défense, peu importe –, ce sont les patrons néanderthaliens, ceux qui considèrent qu’il faut en baver pour se former.  A titre d’exemple, il serait urgent que l’artisanat « première entreprise de France » comme aime à le rappeler son syndicat, FORME ses troupes. Le pire ennemi de l’apprentissage, c’est le patron qui manage comme au siècle dernier, à la schlague, comme il a été lui-même formé. Qui n’a pas compris que ’époque a changé. A leur syndicat revient la lourde tâche de désamorcer ces réflexes qu’ont les victimes devenues bourreaux, persuadées de bien faire. Et de leur apprendre la résilience au risque de venir sempiternellement se plaindre que "les jeunes ne veulent plus travailler".

Vieille lune n°2 : La féminisation d’un métier mène à sa prolétarisation

Une autre vieille lune, et un certain Eric Zemmour, nous explique que lorsqu’un métier se féminise, il se dévalorise. Une idée qui remonte au temps où les femmes faisaient irruption sur le marché du travail, et devenaient institutrices ou secrétaires, mais qui n’a plus cours à l’époque  où  la parité s’applique dans les conseils d’administration et s’apprête à l’être dans les comités de direction. Demander à un DAF si son job est dévalorisé depuis que les femmes y sont majoritaires, il devrait éclater de rire aussi fort qu’un boucher à qui on explique que le sien ne vaut plus tripette, depuis que Stéphanie office dans son labo.

 

Veille lune n°3 : Les jeunes sont des fainéants

Enfin, l’histoire de cette bouchère de Touraine devrait également faire exploser en vol une dernière vieille lune : celle qui consiste à dire et à répéter que les jeunes sont des fainéants, alors que les anciens étaient bien plus bosseurs. Les jeunes ont simplement intégré un truc tout simple, et plutôt évident : le respect. Celui qu’on leur doit, qui leur offre la reconnaissance du travail et leur permet de respecter à leur tour les anciens qui leur tranmettent leur savoir-faire. Les bouchers qui ont tendu la main à Stéphanie l'ont compris. Ils ont respecté en elle le talent latent. Et l'ont aidé à le faire éclore.

 En 2022, Stephanie tentera de décrocher le graal de la profession : le titre de meilleur ouvrier de France. Si elle devient MOF, ce qu’on lui souhaite, elle sera la première femme bouchère en France à être ainsi récompensée. Pas vraiment un truc de fainéant, pas vraiment un truc dévalorisé, et pas vraiment un truc qui devrait lui attirer la haine de ses confrères qui se sentiraient dévalorisés.

 

Toute l'équipe de Cadremploi vous souhaite de très  belles fêtes de fin d’année (et de débats) à tous ! 

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

Vous aimerez aussi :