
C’est un rituel oublié qui a ressurgi cette semaine : celle de la conférence de presse du jeudi d’Olivier Véran. Ce 25 novembre, le ministre de la Santé a annoncé les nouvelles mesures sanitaires pour lutter contre la cinquième vague. Au menu : le rappel vaccinal pour tous, la validité des tests PCR ramenée à 24 heures et le port du masque partout dans les lieux clos. Le télétravail ? Il n’était pas invité au speech ministériel.
Elisabeth Borne, en service après-vente de la déclaration de son collègue, a bien insisté sur un nouveau protocole sanitaire durcissant quelque peu la distanciation sociale et le port du masque au boulot. Mais pas plus de télétravail dans la déclaration de la ministre du Travail que dans celle d’Olivier Véran.
Où est-il passé ce fameux télétravail, révolution du mode de vie et du travail, seriné depuis près de deux ans ? Où est-il ce levier anti-contagion du virus plutôt aisé à mettre en place, et plutôt mieux accepté par la plupart des Français que tous les autres ? Il a disparu dans la bataille que lui ont mené les dirigeants d’entreprise, les partenaires sociaux et l’histoire.
Car les employeurs n’ont pas la mémoire courte. Après le premier confinement, certains ont eu un mal fou à faire revenir leurs ouailles au bureau. Des semaines voire des mois à les supplier de revenir qui les ont suffisamment marqués pour qu’aujourdhui, ils n’aient pas du tout envie d’un retour vers le futur : une nouvelle période de télétravail forcé suivie d’une nouvelle et pénible négociation pour que leurs collaborateurs retrouvent le chemin du boulot au printemps ou on ne sait quand. Et les syndicats d’employeurs, Geoffroy Roux de Bézieux – le président du Medef – en tête, sont largement de leur côté pour éviter cette désertification des bureaux.
Côté salariés, les partenaires sociaux ne sont pas plus fans du télétravail. Pour deux raisons : il créerait selon eux, une nouvelle lutte des classes entre ceux qui peuvent télétravailler, et les autres, obligés de se déplacer pour aller au turbin. En gros, ce phénomène ressusciterait la bonne vieille scission entre les cols blancs et les cols bleus. Les syndicats dénoncent aussi le manque d’accords liés au télétravail sur des bases très concrètes : les horaires, évidemment, mais aussi le matériel utilisé (perso ou pro), jusqu’à la ramette de papier qu’il faut fournir ou pas.
Une dernière réticence à ce nouveau mode du travail porté disparu depuis jeudi dernier serait plutôt d’origine historico-religieuse. Selon l’ethnologue Pascal Dibie, interrogé dans l’émission 28 minutes d’Arte, la réticence française envers le recours au télétravail serait liée au besoin des managers de contrôler leurs collaborateurs. Un phénomène, qui, selon le chercheur, serait typique des pays catholiques et latins, en opposition aux cultures protestantes, où la confiance est plus spontanée. D’où le recours beaucoup plus important au télétravail dans les pays anglo-saxons.
On a donc affaire à une vaste coalition anti-télétravail qui, de la théologie aux dirigeants politiques en passant par le syndicalisme patronal et salarial freine des quatre fers pour empêcher les Français de travailler chez eux. Reste que la marche du progrès et de l’histoire s’est assez systématiquement moquée des réticences diverses, du moins à long terme. Le télétravail, s’il n’est pas pour tout de suite, sera donc, sûrement, pour après-demain.
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.