Réembaucher un ex-PDG : pourquoi ça continue alors que ça ne marche pas (preuves à l'appui)

Sylvia Di Pasquale

Disney vient de rappeler Bob Iger, son ex-PDG parti il y a à peine un an. Et ce n'est pas la seule entreprise qui a cédé à cette pratique. Thierry Cotillard pour Intermarché, Alain Dinin chez Nexity, Howard Schultz pour Starbucks,... Pourtant une étude menée par d'éminents profs de grandes business schools américaines a étudié les performances de ces PDG boomerangs. Pour conclure qu'il aurait mieux fallu ne pas les rappeller. Alors, qui a raison ?

Dessin de Charles Monnier ©Cadremploi

Réembaucher un ex-PDG : pourquoi ça continue alors que ça ne marche pas (preuves à l'appui)
Dessin de Charles Monnier ©Cadremploi

Nul n'est irremplaçable ? C'est si bon de penser le contraire quand on est viré de sa boîte et qu'on y revient en sauveur. Personne n'a oublié la légende : celle de Steve Jobs viré de sa propre entreprise (Apple) et réintégré quelques années plus tard avec le succès phénoménal que l’on sait. Depuis, les patrons qui vont et reviennent sont devenus un réflexe plus courant et un phénomène étudié par les sciences managériales. Il a même été affublé d’un nom : les "boomerang CEO ‘s". Une mode qui n’est pas uniquement américaine, même si le dernier rebondissement est signé Mickey, qui vient de réintégrer Bob Iger a la tête de Disney.

La tentation du boomerang

L’histoire de l’homme de 71 ans, déposé il y a deux ans et réintégré tout récemment, prend des allures d’éloge des vieux pots. C’est du moins c’est ce que les marchés aimeraient nous laisser croire puisque le cours de bourse de la Souris a repris du poil de la bête, en grignotant près de 9% après en avoir perdu 40. Il faut dire qu’Iger est à l’origine de la révolution Disney, celle du rachat de Pixar, de Marvel, de Lucasfilm (Star Wars), de le 21st Century Fox et de la création de la plateforme Disney +. En interne, c’est un dieu vivant et « les équipes », comme on dit en bonne novlangue Linkedin ont applaudi des 400 000 mains, puisque 200 000 personnes travaillent pour le groupe.

Certes, Iger a un palmarès ultra impressionnant, comme nombre d’autres patrons rappelés après avoir été virés, ou après avoir lâché l’affaire qu’ils ont dirigée. Il en va ainsi en France d’Alain Dinin, rappelé à la tête de Nexity après un an d’absence. Dinin pouvait lui aussi justifier de résultats exceptionnels, puisqu’il a fait du promoteur immobilier le leader français du genre, en doublant au passage le chiffre d’affaires et en triplant les effectifs.

Fort de ce constat, les grandes entreprises en difficulté devraient toutes être tentées de rappeler leurs stars qui n’ont que des avantages : elles sont immédiatement opérationnelles et, en plus, sont les meilleures, vue leur cote d’amour, pour « fédérer l’interne autour d’un projet », comme on dit aussi en langue corpo.

Verdict cruel

Sauf que pas vraiment. Une tripotée d’enseignants-chercheurs des grandes business schools américaines ont mené leur petite enquête (voir ici un article paru dans la revue du MIT en 2020). Ils s’en sont allé compulser les résultats de 167 PDG boomerang virés et rappelés entre 1992 et 2017. 25 ans d’allers-retours qu’ils ont analysés pour en tirer une conclusion qui ne va pas vraiment dans le sens du conte de fées cher à Mickey et selon lequel c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.

Selon l’étude, les résultats boursiers des boomerangs sont inférieurs de plus de 10% à ceux qu’ils ont réalisés au cours de leur premier mandat. Pire : la différence est toute aussi flagrante par rapport à des PDG non boomerangs recrutés à la même période.

Pourquoi ces échecs : les chercheurs qui ont mené l’étude sont sans pitié : pour eux, les boomerangs sont déconnectés. L’époque comme les enjeux stratégiques et commerciaux ont changé et pas eux. La valeur de leur expérience se déprécie de plus en plus vite et si certains sont capables de se réinventer, la plupart n’y parviennent pas. « Nombreux sont ceux qui restent convaincus que, puisque leur vision initiale a conduit au succès, elle devrait constituer la voie vers un succès futur » indiquent les chercheurs. Ok boomers.

Peur et manque de préparation

Pour enfoncer le clou, l’étude explique que le recours à un ancien de la maison pour la sortir de la mouise est symptomatique de la peur de l’entreprise du monde tel qu’il devient, d’un réflexe réactionnaire (c’était mieux avant) et d’un manque de préparation de l’entreprise à la succession de son patron. La faute à des conseils d’administration incapables de se saisir du problème et qui tremblent devant un boss charismatique en n’osant même pas aborder le sujet de l’après avec lui.

Repérer en son sein les leaders de demain 

Mais alors, s’il ne faut pas faire revenir un ex et que l’actuel pose problème, on fait quoi ? On compose, on organise la succession et on forme le futur. Surtout, on ne vit pas dans la nostalgie d’une époque bénie mais révolue. Un conseil d’administration n'est pas une assemblée de mages divinatoires qui peuvent garantir le retour de l’être aimé et celui du bon business retrouvé.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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