
La place du travail dans la vie n’est plus centrale
On a l’habitude. Pas une journée ne se passe sans que l’on nous assène que le monde du travail a changé, que le boulot est bouleversé et que depuis la pandémie de Covid, l’emploi n’est plus comme avant. Mais pour une fois, lorsque la note de la Fondation Jean Jaurès basée sur une enquête Ifop parle de transformation hors norme, elle n’est pas dans le faux scoop baudruche destiné à générer du clic à tout prix. Il suffit d’une comparaison chiffrée, d’une simple question posée en 1990 et reposée aujourd’hui pour s’en convaincre.
En demandant aux Français, il y a 32 ans, quelle part le travail occupait dans leur vie, ils étaient 60% à la juger « très importante ». Aujourd’hui, à la même question, ils répondent de la même manière à 24% seulement.
36 points d’écart, ce n’est plus une différence, c’est un gouffre.
Mais alors, qu’est ce qui peut bien avoir de l’importance pour ces Français qui ne croient plus au boulot. La famille ? Evidemment. Mais aussi, et surtout, les loisirs, qui arrivent loin loin devant le travail, puisqu’ils sont « très importants » pour 41% des interrogés. Autant dire que cette enquête n’est pas un sondage de plus : c’est un cauchemar de DRH.
Une relation dépassionnée au travail
Car à eux se pose une question : que faire de cette situation ? Comment motiver des salariés pour qui le travail n’est plus structurant ? Romain Bendavid, le directeur de l'Expertise Corporate et Work-Experience (me demandez pas, j’ai toujours pas compris) de l'Ifop a son idée, et dans la note de la fondation Jean Jaurès, il donne de petits conseils. « Cette nouvelle relation dépassionnée au travail a pour corollaire une envie de bien-être au quotidien. Il ne s’agit plus tant de se réaliser par le travail que, plus modestement, de s’y sentir bien ».
Certains DRH ont traduit cette envie modeste et court-termiste de bien-être au travail en offrant un baby-foot à leurs troupes. Et en embauchant des happiness machin officers et autres emplâtres de fortune sur une plaie béante et profonde.
Car ce que ne dit pas Romain Bendavid, et que ne disent pas non plus la plupart des spécialistes du monde du travail, c’est que la notion de bien-être au travail ne se situe pas dans les sphères du sourire, des plantes vertes et des cafés gratuits au bureau, mais dans la notion de travail lui-même et pas seulement en terme de sens dont la fameuse quête soit disant tant revendiquée n’arrive que loin derrière les demandes de bien-être dans l’étude Ifop.
Réflexe de survie
Ne faut-il pas traduire ce besoin exprimé de « bien-être » par d’autres termes, plus simples, plus crus, et plus difficiles à dire à un sondeur ? Et si ce que disaient les salariés par ces mots, c’était tout simplement qu’ils n’en peuvent plus ? D’être mal payés d’une part, ça ils le disent dans tous les sondages. Mais aussi qu’ils ont aujourd’hui une plus grosse charge de boulot qu’en 1990 ? Que cette surcharge amène un autre fléau, celui de la pression managériale. Lesquels managers sont eux aussi harassés et croulent sous le travail, et que toute la chaîne hiérarchique, jusqu’au sommet, DRH compris, n’est qu’une cocotte-minute à la limite de la rupture ?
Si tel est effectivement la situation, le fait de tourner le dos au travail constaté par le sondage, n’est pas une anomalie de l’époque, un aléa de la société des loisirs, mais un réflexe de survie, un acte inconscient, un rejet de ce que l’on ne supporte plus.
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.