Le chômage, c'est grave docteur ?

Sylvia Di Pasquale

Entre la France et l'Allemagne, il y a plus qu'un fleuve : un monde. A la droite du Rhin, le pays où tout va bien. Celui où le chômage est au plus bas, où les Herr Doktor sont vénérés. A gauche, la France et son chômage élevé. Le pays aussi où les doctorants ont plus de difficultés à trouver du boulot que n'importe quels autres jeunes diplômés. C'est une étude du Conseil d'analyse stratégique (CAS) qui le dit.

Elle s'appuie sur des chiffres de 2007. Oui, trois ans pour dépouiller une enquête et une de plus pour la rendre publique, c'est le temps nécessaire pour décrypter, soupeser, tergiverser, réfléchir, analyser, synthétiser. Publiée l'an passé, elle reste pourtant d'actualité, à l'heure de la disgrâce de Karl-Theodor zu Guttenberg. Le ministre d'Angela Merkel, désormais surnommé Karl Von Copié Collé, vient en effet de démissionner parce que sa thèse de doctorat n'était qu'un vaste plagiat. Il aurait recopié plus de 200 passages d'auteurs sans citer ses sources. Et ce qui n'aurait été qu'un tout petit incident de parcours en France est devenu outre-Rhin, un énorme scandale. En raison de l'importance que revêt le titre de Doktor chez nos voisins.

Chez nous, on n'a pas vraiment le même sens du prestige. Selon l'étude du CAS, les docteurs français subissent un taux de chômage 3 fois supérieur à celui des autres pays de l'OCDE. L'enquête note (toujours avec le même goût certain pour les chiffres récents) que les jeunes docteurs allemands n'étaient que 2,6 % sans emploi en 1999 et en 2006. Bon, en réactualisant, on pourrait ajouter le ministre Karl-Theodor.

On constate chaque matin que les entreprises françaises préfèrent embaucher des cadres d'écoles de commerce, d'ingénieurs, ou même des titulaires de masters 2 à nos fameux doctorants. Et on se demande, évidemment, pourquoi tant de haine pour les bac +8. On s'en retourne donc à notre étude pour découvrir le pot aux roses. Et s'apercevoir que le doctorat ne figure pas dans les conventions collectives des branches ni, a fortiori, dans les grilles de salaires. Dans notre belle économie nationale, il n'existe tout simplement pas. Du coup, on réalise que finalement, le taux de chômage de ces ultras bons élèves est même plutôt bas au vu de ce constat.

Mais retraversons le Rhin pour comparer la situation des Doktors avec celle de nos docteurs. En Allemagne, ce titre figure sur la pièce d'identité du diplômé. Il l'affiche sur sa carte de visite professionnelle (bien avant sa fonction dans l'entreprise) et 50 % des patrons des grosses boîtes germaniques sont titulaires d'un doctorat. Selon le sociologue Michael Hartmann, « ceux qui détiennent ce titre gagnent 10 000 euros de plus par an. »

Retour en France. Faut-il faire briller les palmes académiques et copier les Allemands pour sauver nos pauvres doctorants ? On nous répondra qu'on a d'autres chats à fouetter, d'autres chômeurs à réinsérer en priorité et que les docteurs en-ce-qu'on-voudra ne sont pas suffisamment nombreux pour organiser un Grenelle du doctorat qui pourrait déboucher sur un plan Marshall de la thèse en perdition.

Certes. Mais ce problème d'insertion des surdiplômés du public est un signe. Un petit pavé dans l'océan du dysfonctionnement de la formation à la française. Un pays où l'on voudrait nous faire croire qu'une thèse d'Etat ne peut mener à autre chose qu'à un poste d'universitaire. Où les postes de cadres en entreprises sont majoritairement occupés par des diplômés des Grandes écoles, embauchés par des dirigeants eux-mêmes issus des Grandes écoles. A la question de savoir pourquoi, en Allemagne, les docteurs ont toute la place qu'ils méritent dans les grandes entreprises, la réponse est toute bête : il n'existe pas de Grandes écoles outre-Rhin. Et, apparemment, l'économie du pays ne s'en porte pas plus mal.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 14 mars 2011

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Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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