« Au revoir cher collègue »

Sylvia Di Pasquale

Suffit que le soleil pointe un bout de rayon pour que les pots de départ fleurissent derechef. Et les traces pour l’éternité qui vont avec. Pas une journée sans un article,  un tweet, un pin ou  un tumblr pour témoigner de ces liesses d’adieu entre collègues. Un nouveau contrat de signé, quelques vacances arrachées à l’ancien employeur et le tour est joué : le partant est fin prêt pour attaquer la rentrée dans sa nouvelle boite. Et de fêter tout ça, avant d’aller siroter des mojitos au bord de la piscine à débordement.

Du coup, début juillet, le pot prolifère comme la rhinite en hiver. Et chacun d’eux répond à des règles immuables qui font entrer les pots de départs dans le grand rituel de la communion éternelle entre celui qui part et ceux qui restent. Entre celui qui part parce qu’il en a marre, et ceux qui restent, pas fâchés qu’il se barre. Entre celui qui s’en va car il n’a pas le choix et ceux qui restent et le regrettent déjà.

Malgré toutes les facettes de cette grand messe, tous les disciples qui ont participé un jour à ce genre d’office savent que les convenances exigent que le partant soit, le temps d’une soirée, le type (ou la fille) le plus regretté de l’année. Discours live, vidéo surprise, petits compliments appuyés, tout doit concourir à nourrir une seule question : « mais pourquoi s’en va-t-il ? » Ce qui, du coup, en induit une autre. « Mais pourquoi la direction ne le retient pas ? »

Prenons Juliette à qui on refuse ce poste depuis trois ans, et qui s’en va donner son temps de cerveau à un mieux offrant. On ne va tout de même pas lui pourrir sa soirée en lui expliquant que si Dominique Haineplusun n’a pas tari d’éloges lors de la prise de réf’ (le coup de fil d’un cabinet de recrutement mandaté par son futur boss), c’est parce qu’il a sauté sur l’occasion, et sur son téléphone, pour s’en débarrasser.

Et même quand le démissionnaire est indubitablement brillant – et que son chef va le regretter vraiment, qu’en plus, ce dernier s’est engueulé avec le DRH car il n’a pas accepté l’augmentation demandée pour son protégé, que tous ses collègues sont jaloux comme des hyènes car le cadre sur le départ a trouvé un job de rêve, dans une boite de rêve, alors qu’eux vont retourner turbiner à la rentrée dans le même service de la même boite où ils s’ennuient depuis des années, – même dans ce cas où, normalement, le pot de départ plus ou moins arrosé devrait virer au pugilat, chacun garde son quant-à-soi.

Comme une extrême onction, cette dernière soirée absout de tout. Et, plutôt que de tourner à la boucherie façon Azincourt, pendant le pot de départ, tout le monde n’est qu’amour.

Syl_DiPasquale © Cadremploi.fr – 8 juillet 2013

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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