Cadre 2010 : « je vais bien donc tout va bien »

Sylvia Di Pasquale

Quelques sondages nous avaient mis la puce à l'oreille. Les cadres auraient retrouvé le moral. Pourquoi ? Comment ? En fait, on peinait à trouver une explication à ce phénomène curieux qui voudrait que les cols blancs aient des œillères et ne voient pas ce qui se passe dans le champ dévasté de l'économie en crise. Alors, on a demandé à l'institut Ifop de focaliser la 4e vague de notre baromètre sur cette énigme. Les résultats sont là, tout frais, tout chauds et ils valent leur pesant de cacahuètes.

 

Oui, effectivement, les cadres ont retrouvé la banane. Heu-reux, qu'ils sont. Même pas peur. Leur boulot ? 66 % d'entre eux sont confiants dans l'avenir de leur poste, révèle la 4ᵉ vague de notre baromètre Cadremploi / Ifop. Mieux. Ceux de l'industrie, qui auraient pourtant quelques bonnes raisons de se faire du mouron, sont 70 % d'optimistes. Tous secteurs et tous métiers confondus, ils ont même repris goût à la mobilité et 42 % d'entre eux ont bel et bien envisagé de changer de boîte au cours des trois derniers mois. Un score en hausse de 11 points par rapport à la précédente étude, que nous avions réalisée en juin dernier.

 

Alors, n'en croyant pas nos tableaux Excel, on s'en est allé leur parler de la crise. Vous savez ce truc qui booste les scores du Pole emploi. Et c'est à ce moment là qu'est apparu devant nos yeux ébahis, un drôle de mutant schizophrène, un docteur cadre youplaboum et un mister citoyen sinistrose.

 

Car à chaque question sur la situation générale de l'économie nationale, ils sont comme vous et moi (surtout moi) : super pessimistes. Et ce, dans les mêmes proportions que leur optimisme : deux tiers des sondés voient l'avenir du pays en gris anthracite. En poussant plus loin et en tentant de vérifier ce dédoublement de personnalité, on s'est tout de même aperçu qu'ils étaient parfaitement conscients de l'impact de la fameuse crise sur leur propre boulot. Leurs relations hiérarchiques se sont détériorées, tout comme l'ambiance générale de travail.

 

La même question nous reste donc sur les bras : pourquoi ? Pourquoi cet optimiste forcené et limité à leur seul personne ? Et si cette réaction était celle de survivants ? De soldats qui ont tout encaissé depuis des années et en particulier l'année passée et qui se sont tellement blindés qu'ils ne risquent plus rien. Il faut dire qu'ils ont été sur-entrainés à coup de formations en « développement personnel », que leur salaire a été individualisé pour s'assurer de leur motivation au combat, au point que le narcissisme professionnel fait partie de leur ADN.

 

Les faibles auraient été emportés par la crise, ne resteraient que les warriors. Une façon de penser le monde du travail tout en « isme » (individualisme et bellicisme) développée et encouragée par les grandes écoles depuis une trentaine d'années. Lesquelles grandes écoles ont formé des bataillons de cadres aujourd'hui aux affaires. Un état d'esprit du quitte ou double : soit il permet à ceux qui en sont imprégnés de traverser la tempête sans (trop) d'encombres, soit il fait des dégâts d'autant plus considérables que ceux qui subissent la tempête n'ont, à aucun moment, envisagé l'échec. Réponse après la crise. Pas tout de suite, donc.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 25 janvier 2010

Consultez ici les résultats du Baromètre Cadremploi/ Ifop - 4e vague Janvier 2010 et réagissez sur le forum ci-dessous.

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

 

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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