Cadre à tout prix, c'est (peut-être) fini

Sylvia Di Pasquale

C'est plus qu'une pierre jetée dans le jardin (à la française) du petit monde des cadres : c'est une météorite. L'arrêt « Blue Green » pourrait bel et bien signer la fin d'une pratique hexagonale fort courue. Un réflexe qui consiste à honorer un salarié du so frenchy statut cadre, sans trop s'embarrasser de savoir s'il peut prétendre à ce système dérogatoire. Il faut dire que bon nombre d'entreprises ont vite compris comment le détourner pour passer outre la loi des 35 heures, des 39 et même des 40, en prétextant que le col blanc qui a la chance, considérable, de bénéficier du fameux statut, est soumis à un forfait jour. Une petite expression magique qui lui impose d'effectuer autant d'heures que nécessaire à l'accomplissement de sa tâche en contrepartie de quoi il a le droit de gérer son temps de façon autonome. Sauf que, en réalité, des cohortes de cadres sans aucune autonomie ni équipes à encadrer, qui devraient normalement s'acquitter de 7 heures de labeur quotidien, en font beaucoup plus, sans pour autant percevoir le moindre fifrelin supplémentaire (voir notre rubrique Droit du travail du 3/10/2007.

Il n'est évidemment pas question ici de s'interroger sur les ravages, ou les avantages, de la première ou de la seconde loi Aubry, mais de constater la manière utilisée pour les contourner en toute légalité. Jusqu'à ce 31 octobre 2007 et la jurisprudence applicable à partir de cette date, sans doute. Ce jour-là, la cour de Cassation a donné raison à un moniteur de golf de la société Blue Green, licencié en 2003, qui réclamait depuis son éviction des dommages et intérêts à son ex-employeur, sous prétexte qu'il effectuait beaucoup plus d'heures que ce qu'autorisait la loi. La Cour a estimé que, malgré son statut de cadre forfaitisé, le contrat de travail du prof de swing ne répondait pas à l'un des critères fondamentaux correspondant à ce fameux statut : l'autonomie. Et voilà son ancien patron obligé de lui verser des indemnités correspondant aux heures supplémentaires qui ne lui ont jamais été versées du temps de ses activités.

Autant dire que cette décision sème le trouble dans de nombreuses directions des ressources humaines. Les calculettes s'agitent, les heures sup, défiscalisées ou pas, sont évaluées et soupesées. Surtout, l'on s'interroge, depuis le début de ce mois de novembre, sur le sens du mot « autonomie ». Combien de cadres dits « autonomes » aujourd'hui en poste décident eux-mêmes de la façon de gérer leur temps pour réaliser les objectifs qu'on leur a fixés ? Et combien de cadres encadrent pour de bon ? Des questions dont la réponse est évidemment variable selon l'entreprise mais qui vise nombre de cadres moyens. Tous ceux, en fait, qui se sont laissés appâter par un statut et qui continuent à effectuer les mêmes tâches qu'avant, pour un salaire qui lui non plus ne colle pas réellement à l'idée que l'on peut se faire d'un émolument de cadre. Aucune étude ne permet aujourd'hui de dénombrer ces déçus du forfait jours. Mais on peut affirmer, sans trop se tromper, qu'ils sont nombreux...

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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