À chacun son blurring

Sylvia Di Pasquale

Vous n’avez pas l’impression d’être un peu blur ces temps-ci ? Si je vous dis ça, ce n’est pas parce que je vous soupçonne d’être fan du groupe de rock anglais, mais parce que comme une très grosse partie des cadres, vous n’échappez plus au flou (blur) régnant entre vie pro et vie perso. Les frontières se dissolvent. Au bureau, vous préparez vos vacances sur le Net, et à la maison vous répondez à vos mails pro. Un tel mélange des genres ne pouvait pas subsister très longtemps sans que des petits malins lui collent un nom, en anglais de préférence. Alors va pour le blurring, un sobriquet dont les premières traces remontent à 2013 (deux ans, soit un siècle pour une tendance) mais qui vient de prendre un nouveau coup de projecteur grâce à pas moins de trois études parues coup sur coup.

À tout seigneur tout honneur, la 14ᵉ vague du Baromètre Cadremploi/Ifop, réalisée au mois de juin dernier est claire : 81 % des cadres interrogés consultent leurs mails perso dans la journée (page 9). Et 60 % des mêmes lisent leurs courriers pro après le boulot. Il est même surprenant que ces taux n’atteignent pas 100 % tellement les smartphones, tablettes et ordis portables semblent rivés à nos vies. Une normalisation du flou corroborée par deux autres enquêtes récentes, dont celle réalisée par le groupe d’intérim Randstad ou une autre encore, conçue par Edenred et l’institut Ipsos. Toutes constatent que cette pratique est devenue la norme pour une majorité de cadres. Reste à savoir si cet état de fait est réellement revendiqué par les cols blancs, ou s’ils le subissent.

Il est clair que nombre d’entre eux adorent l’idée de surfer entre deux univers, de mélanger leurs amis Facebook avec leurs relations pro, de télédéclarer la nounou entre deux réunions quitte à finir un dossier après le dîner, une bonne gestion de leurs deux vies qui témoigne de leur besoin d’autonomie. Mais d’autres préfèrent cloisonner pour oublier le boulot en regagnant leurs pénates. Manifestant ainsi leur besoin de frontières claires. Est-ce répréhensible pour autant ? Surtout, sont-ils davantage ou moins productifs ce faisant ? Des questions sur lesquelles les DRH restent prudemment silencieux. La main sur le cœur, ils affirment tous encourager un bon équilibre entre vie pro et vie perso. Oui mais comment ? En autorisant le blurring dans l’entreprise ou en le limitant ? Certaines entreprises labellisées "entreprises où il fait bon travailler" revendiquent l’argument blurriste pour attirer des candidats. Ici, on peut faire autre chose pendant le boulot, tant que le boulot est fait à temps. Du miel pour les uns, un piège à stress pour les autres. Dans ces organisations, le risque de la minorité guette ces derniers, puisqu’au bureau comme dans la vie, on ne reconnaît de valeur qu’aux plus nombreux. Sauf si l’entreprise officialise un sage principe : à chacun ses limites.

@Syl_DiPasquale © Cadremploi.fr 

Dessin de Charles Monnier

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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