Fortiche en biais cognitifs : comment nos réunions de boulot peuvent inspirer le grand débat national

Sylvia Di Pasquale

Le grand débat national en réponse à la crise des « gilets jaunes », ça commence aujourd’hui. Mais les petits débats en entreprise, c’est tous les jours. Et de la grande doléance nationale à la petite réunion quotidienne, il se pourrait bien qu’émergent quelques points communs. Des façons de penser susceptibles de bloquer un pays comme elles peuvent gripper une entreprise. Petit florilèges des biais cognitifs qui font florès dans les réunions.
Fortiche en biais cognitifs : comment nos réunions de boulot peuvent inspirer le grand débat national

Les échanges qui s’enlisent ?  Les cadres de ce pays ont l'habitude, vu qu’en 2018, ils ont passé plus de temps en réunion qu’en vacances. Leurs 27 jours cumulés de réunion en font des observateurs pourris-gâtés des biais cognitifs, autrement dit de ces erreurs de raisonnement qui font bifurquer des réunions vers des décisions irrationnelles.

Ces fameux pièges du raisonnement, Vincent Berthet, docteur en sciences cognitives – et bien d'autres avant lui, à commencer par le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman –  les a étudiés et évalués dans un récent ouvrage*. Pour lui, nous sommes tous victimes des mêmes biais cognitifs, surtout quand nous débattons avec passion.

Ça va biaiser !

Le biais de confirmation : préférer les infos qui confortent nos préjugés

L’un des plus fréquents dans les salles de réunion – allumons des cierges pour qu’il épargne le grand débat –  est le biais de confirmation : quand on est persuadé d’une chose, on a tendance à accorder plus de poids aux informations qui confirment nos croyances qu’à celles qui les infirment. Et l'on néglige allègrement celles, même statistiques, même totalement avérées, qui pourraient nous faire changer d’avis. Par exemple, il est très difficile d’arrêter la tradition des chouquettes du vendredi, parce qu'une majorité de collègues veulent aussi la maintenir. Même si les statistiques prouvent que les chouquettes font grossir. Mettre ses émotions de côté n'est pas naturel.

Le biais de rétrospection : surestimer la probabilité qu'un événement arrive

Les chercheurs ont également détecté chez l’homme une belle capacité au biais de rétrospection qui consiste à avoir l'impression qu'un événement passé aurait pu être prévu. Le fameux " Je t'avais bien dit que ça ne marcherait pas " du collègue qui attendait en embuscade qu'on se plante. Ce qui rend complexe toute innovation puisqu’on est arcbouté sur le passé (en plus d'être jaloux du voisin mais c'est une autre histoire).

Le biais des coûts irrécupérables : persévérer dans l'erreur parce qu'on a déjà beaucoup investi

Le biais des coûts irrécupérables est une autre forme de défaut très humain qui n'a pas son pareil pour faire sortir de ses gonds le plus sage des participants.  Cette fâcheuse habitude nous rend enclin à chercher à éviter des pertes, plutôt que de tenter d’obtenir des gains. " Vu qu'on l'a acheté, autant l'utiliser." Repeindre la salle de repos en rouge plutôt qu'en blanc parce qu'il reste de la peinture rouge. Continuer de développer une techno obsolète sous prétexte que les dév ont été formés à ce bidule. Il faut du courage managérial pour imposer l'abandon d'un projet nuisible pour une société alors qu'il était bénéfique avant.

Le biais de surconfiance ou effet Dunning-Kruger : quand les moins qualifiés se croient les plus compétents

Quant au biais de surconfiance (autrement appelé l'effet" Dunning-Kruger") selon lequel les moins doués se croient les plus compétents, il donne souvent lieu à des scènes de désespoir quand il n'est pas détecté. Selon ce principe découvert en 1999, les moins qualifiés n'hésitent pas à s'exprimer en réunion sur un sujet qu'ils ne maîtrisent pas. Tandis que les plus qualifiés resteront silencieux, sous-estimant leur pertinence.

Autrement formulé par Charles Darwin :

L’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance

 Évidemment, avec de tels handicaps (et ce n'est qu'un échantillon), un débat pourrait sembler impossible. Pas pour des animateurs aguerris. Savoir repérer et corriger les biais cognitifs est une des compétences clé pour la réussite du Grand débat national. Espérons que les organisateurs choisis pour l'animer en soient dotés. Afin d'éviter qu'il ne tourne en rond.

Dessin de Charles Monnier

* L'erreur est humaine, Vincent Berthet, CNRS Editions, octobre 2018

[Cet article est un éditorial qui reflète le point de vue de la rédaction. Le forum ci-dessous vous permet de le commenter ou d’apporter votre témoignage en lien avec le sujet évoqué, dans le respect des principes éthiques et de savoir-vivre (comprenant l’écriture avec un certain soin). Nous avons hâte de vous lire et vous remercions de votre visite.]
Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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