Ils sont filmés serrés, plein écran, sur fond uni. Des hommes et des femmes qui se présentent, face à la caméra, pendant 5 ou 6 minutes. Des candidats qui déroulent leur CV, affirment leurs compétences et leur motivation pour décrocher un job. Pas de quoi se relever la nuit. Sauf que ces petits films troussés par les Filmentropes, une compagnie de vidéastes lyonnais, distillent une bonne grosse dose de subversion.
Et pas seulement parce que ces entretiens d'embauche doivent déboucher sur des jobs totalement surréalistes (briseur de couple, musicien de salle d'attente, guide touristique en misère urbaine, directeur de chaîne TV trash). Il y a quelques mois, les vrai-faux sites d'emplois « jobdemerde.com » ou saleboulot.com avaient joué les pionniers sur la Toile.
En fait, ce qui foudroie - et dérange - l'internaute, c'est la manière dont les candidats, tous comédiens amateurs et vrais chômeurs, se présentent. Leur langage, leurs tics, leurs hésitations sont ceux des vrais entretiens d'embauche. Et leurs arguments aussi. Car tous font leur maximum pour entrer dans le moule, avoir le bon profil, atteindre la vraie bonne grosse motivation, la gniaque indispensable pour décrocher le graal du CDI.
Quand une candidate au poste de chef d'équipe pour le site (fictif) se séparer.com, fait état de ses « sept ruptures en cinq ans », de son expérience professionnelle de téléactrice où elle était chargé de « harceler des mauvais payeurs », elle ne fait qu'appliquer les préceptes enseignés dans tous les manuels du bon candidat : adapter sa propre expérience au profil du poste. Pareil pour le postulant à un job de « guide touristique en misère urbaine ». On nous le répète : un bon candidat doit avoir un projet pour son employeur. Celui-ci y va franco. Après un stage de relooking chez Emmaüs, il propose de convier ses futurs clients à un stage de prostitution avec contrôle par la BAC à la clé.
Tous ces petits films, concoctés par Bérénice Meinsohn, fondatrice des Filmentropes sont visibles sur la Toile et font aussi l'objet d'une installation visible à la Maison de l'Ecologie à Lyon jusqu'au 27 novembre. Ils sont diffusés dans un téléviseur juché sur le corps d'un mannequin assis sur une chaise, face à un bureau de recruteur, comme pour de vrai. Une installation qui bouscule, dérange et nous renvoie à nous-même. A nos propres expériences, et à tous les petits compromis auxquels nous sommes prêts pour décrocher un job. On est surtout conduit à se demander jusqu'où pousser le curseur de l'inacceptable.
C'est bien la fonction de l'art, ou ce à quoi il devrait toujours servir. Révéler, déranger, apostropher, poser des questions, chacun étant libre d'y poser les réponses qui lui vont.
Mais pour les récalcitrants qui trouvent qu'une caméra fixe et un gros plan unique, ça vaut pas Luc Besson, nous leur conseillons fortement de visionner une autre vidéo des Filmentropes. C'est un énième sujet sur le Mur de Berlin, célébré en ce moment-même dans tous les recoins. Mais dans celui-ci, le mur prend la parole et raconte sa vie sur des images d'archives de l'INA. Et non seulement les images (connues) sont découpées d'une manière magistrale, mais en plus le texte qui les accompagne est d'une justesse comme on n'en a pas entendu dans le tohu-bohu commémoratif du moment.
Curieusement, il est lu par une certaine Giselle Colleta. Dans la vraie vie, elle occupe la fonction de conseillère au Pôle emploi de Lyon. Le télescopage est savoureux. Et pose question. Pourquoi a-t-elle donné sa voix à ce documentaire ? D'où lui est venu cet impérieux besoin de participer ? Pourquoi incarner ce Mur ? A défaut de réponses, chacun se fera son propre film.
Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 9 novembre 2009

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr - 2009
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.