Selon le ministère du Travail, 26% des salariés âgés de 58 à 60 ans ont signé une rupture conventionnelle l’an dernier. Ils ont donc quitté, en principe, leur entreprise avec des indemnités avantageusement négociées, et une allocation chômage leur permettant de tenir, en principe, jusqu’à la retraite. Sauf que ces principes, même scrupuleusement respectés, sont un fabuleux pied de nez lancé par les employeurs à la pénurie d’emplois dans certains secteurs et une façon, pour certaines entreprises de se moquer ouvertement de la « marque employeur ». De belles campagnes qu’elles mettent en place pour rivaliser de mots d’amour envers leurs seniors qu’elles veulent garder à tout prix. C’est aussi une manière de renvoyer à leurs chères études tous ceux qui s’inquiètent du déficit abyssal de l’Etat en général et des caisses de retraites en particulier.
Car de quoi ces ruptures conventionnelles des seniors sont-elles le nom ? Si ce n’est de la bonne vieille préretraite ressurgie telle une morte vivante du tombeau où l’Etat l’avait enterrée. Et d’un joyeux, et très légal, détournement de fonds publics au cours duquel les deux parties jouent un set gagnant plutôt malsain. L’entreprise se débarrasse à bon compte d’un senior qu’elle juge cher et inadapté. Quant à ce dernier, il cultive son jardin tranquille, grâce à l’allocation chômage lui permettant d’attendre que sa retraite lui soit allouée. Détournement patent, puisque les sommes versées à ceux qui ont perdu leur job existent justement pour qu’ils puissent en retrouver un nouveau. Evidemment, cette forme d’arrangement n’aura qu’un temps, puisque l’allongement des annuités pend au nez des salariés et d’ici quelques années, partir en pré-retraite conventionnelle ne permettra pas d’attendre auprès de ses radis que l’heure de la retraite radine.
Les tensions en matière de recrutement dans certains secteurs devrait d’ailleurs inciter davantage de DRH à passer la seconde. D’autant que le McKinsey Global Institute les a suffisamment alertés l’an passé sur les dangers du « skills mismatch ». Cette grande inadéquation des compétences qui pourrait empêcher en France la création de 2,3 millions de postes qualifiés et détruire 2,2 millions d’emplois non qualifiés d’ici 2020.
Les difficultés à recruter actuelles et futures devraient donc inciter toutes les entreprises responsables à garder leurs seniors opérationnels, vaillants et bien formés. Or en attendant, entre les DRH et leurs seniors, c’est le divorce à l’amiable. Les bons comptes font les bons amis, mais ces petits comptes font aussi les petites mesquineries.
Car on sait que les quinquas sont moins formés que les autres salariés plus jeunes. Selon le 12ᵉ baromètre Séniors réalisé l’an passé par les magazines Entreprises & Carrières et Notre Temps, 69% d’entre eux n’ont pas suivi la moindre formation depuis 3 ans. Or, il suffit de comparer le coût d’une formation pour un senior, à celui d’un recrutement impossible : l’embauche d’un jeune ingénieur informaticien (par exemple) presqu’introuvable, et pas forcément opérationnel immédiatement. Evidemment, le dernier chiffre est un peu plus difficile à dégotter que le premier, mais un bon contrôleur de gestion devrait y parvenir. A moins que, âgé de 58 ans, il ne soit parti de l’entreprise grâce à une rupture conventionnelle.
@Syl_DiPasquale – 27 mai 2013

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.