Des cadres fatigués, des ouvriers apaisés

Sylvia Di Pasquale

On en était resté à ce bon vieux constat : les cadres vivent plus vieux que les ouvriers. Entre sept et dix ans de plus pour les premiers. Et voilà que débarque une étude menée par le groupe Malakoff-Médéric. Elle nous dit, en résumé, que 60 % des cols blancs sont fatigués, alors que leurs collègues ouvriers sont plus zen. Du coup, on se pose la question : vaut-il mieux vivre longtemps en stressant, ou une décennie de moins en souriant ?

Le pourquoi du comment de l'usure des cadres, les 3 500 salariés du privé, interrogés par le leader de la protection sociale et de la retraite complémentaire, le livrent aux enquêteurs : on leur en demande toujours plus. Plus d'efficacité, de productivité, et de temps passé à bosser. Les soirées sont grignotées et les week-ends aussi. Les ouvriers, eux, se seraient mis en retrait. Le boulot c'est le boulot, avec des horaires non extensibles.

Et le reste, c'est leur affaire : la famille, les amis, le sport et les loisirs. En d'autres termes, et comme l'a expliqué Anne-Sophie Godon, Directrice de la prévention de l'assureur au micro d'Europe 1, « ils ont rééquilibré leurs engagements ». La crise, la désindustrialisation, les délocalisations, ils les ont avalées de plein fouet. Sans compensation. Alors ils ont pris de la distance. 71% d'entre eux, toujours selon l'étude, avouent prendre moins d'initiative.

Combien de ceux qui en ont eu la possibilité ont carrément refusé de franchir le cap et de devenir cadre ? L'enquête ne le dit pas, nos témoignages, si. Comme celui de cet ouvrier alsacien, qui a décliné l'offre, ne souhaitant pas augmenter son temps de travail d'une dizaine d'heures hebdomadaires, pour 200 euros supplémentaires. Comme ce réparateur de pare-brise qui aurait bien accepté, à condition de ne pas travailler au forfait et de conserver ses 35 heures. Ce que son manager n'a pas accepté.

Au delà d'une 250ᵉ étude sur le malaise des cadres, celle de Malakoff Médéric est donc un petit caillou qui grippe la belle mécanique de l'ambition. Et qui pose la question du choix entre un boulot (parfois) intéressant, mais qui réclame des sacrifices, ou un boulot (parfois) rébarbatif compensé par un univers privé plus attractif.

Tout cela ferait presque pencher la balance de l'envie vers les cols bleus. Ce serait oublier un peu vite la différence d'espérance de vie entre cadres et ouvriers. Et perdre de vue la fameuse pénibilité qui explique en partie ce décalage. La pénibilité, c'est justement le chaînon manquant de la réforme des retraites qui reste encore à négocier. Et voilà que l'on pourrait se mettre à lire cette enquête différemment : puisque les cadres souffrent plus que les ouvriers, on ne va pas, en plus, offrir quelques annuités à ces derniers...

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 13 décembre 2010

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Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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