Droit à l'oubli ou à la confidentialité ?

Sylvia Di Pasquale

Prenez une double copie, notez votre nom et prénom en haut à gauche. Vous avez quatre heures pour disserter sur cette phrase : « Toute société humaine se construit sur l'oubli ». Un aphorisme qui n'est signé ni Claude Lévi-Strauss ni Spinoza, mais Nathalie Kosciusko-Morizet. Où l'on découvre que notre secrétaire d'Etat au Développement numérique est aussi philosophe à ses heures et que, surtout, elle pardonne les égarements qui laissent des traces durables sur le Web.

Car c'est la grande affaire de la ministre ces temps-ci et, du coup, de tous ceux qui se préoccupent de près ou de loin des affaires de la Toile. Ça nous fait un sacré paquet de monde. Selon NKM et tous ceux qui étaient invités ce jeudi au grand débat sur le « droit à l'oubli numérique », il faut légiférer, signaler, avertir et permettre à tout un chacun d'effacer à l'envi tout ce qu'ils publient sur Internet.

En cause, bien évidemment, la googlisation frénétique de tous les candidats à un job par les recruteurs. Ils découvrent le postulant avec un chapeau pointu et une mine hilare de fin de soirée arrosée et refusent la candidature. Même punition lorsqu'ils retrouvent un commentaire politique signé par un candidat sur un forum qui ne colle pas avec leurs convictions ou avec celles qu'ils estiment devoir défendre au nom de leur entreprise. Ou alors, lorsque ces internautes sont déjà en poste, leurs employeurs s'aperçoivent que leur CV est en ligne, ce qui suppose qu'ils cherchent un autre boulot. D'où fâcherie du patron (le Mésolithique n'est pas si loin finalement).

Pour éviter le courroux, nos bons gouvernants souhaitent que les réseaux sociaux alertent leurs internautes fêtards ou revendicatifs sur les risques encourus et veulent leur permettre de nettoyer à l'envi toutes leurs bévues publiées.

Cette croisade censée protéger l'internaute de ses propres égarements pose tout de même quelques soucis. Dont le révisionnisme qu'elle suppose n'est pas le moindre. Car après tout, le Web est un véritable média, c'est même devenu le premier d'entre tous. Du coup, comme à la radio, à la télé, ou dans la presse, ce qui s'y montre, s'y dit et s'y écrit doit obéir aux mêmes règles. Or, nul ne songerait à permettre à des personnes qui s'expriment dans les « vieux » médias de rectifier à loisirs, voire d'effacer, leurs dires. Sauf s'ils touchent à la vie privée et dans ce cas, la loi française est particulièrement au point, c'est même la plus drastique d'Europe et il suffit de l'appliquer au Web. En revanche, il peut être dangereux d'appliquer la règle de l'oubli à des affaires publiques. Car si une telle loi s'applique à tous les domaines, un futur ministre de l'Intérieur peut parfaitement escamoter une vidéo qui le montrerait en train d'ironiser sur des auvergnats maghrébins.

Reste, évidemment, le problème du CV mis en ligne et lisible par tous, y compris le boss. Dans ce domaine aussi, il n'est pas forcément nécessaire de légiférer. Un curriculum publié sur un jobboard - comme Cadremploi, entre autres - n'apparaît pas sur les moteurs de recherche. Seuls les recruteurs à la recherche d'un candidat peuvent y accéder. Pour le droit à l'oubli, ou plutôt à la confidentialité du web, suffit de suivre le bon exemple.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 16 novembre 2009

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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