C’est le talisman indispensable. Le seul carton d’invitation à l’emploi qui vaille. L’unique laissez-passer qui peut, le cas échéant, ouvrir la porte du bureau d’un recruteur. Encore faut-il que le diplôme, puisque c’est évidemment de lui dont il s’agit, soit le bon : celui qui rentre dans les petites cases, celles du recruteur. Les universitaires férus en langues O’, socio ou géo n’ont qu’à retourner à l’école, comme prof, ou pour glaner un « vrai » diplôme. Quant à ceux qui n’ont obtenu ni bons ni mauvais parchemins, ils n’ont que leurs yeux pour pleurer, leur fortune personnelle pour se prélasser ou une caisse de supermarché pour travailler.
Et si cette dictature du diplôme empêchait les entreprises de tourner, d’évoluer, d’innover ? C’est une vieille rengaine évidemment, entonnée par tous ceux qui reprochent aux DRH de sélectionner les candidats sur leur seul cursus scolaire dûment homologué. Lesquels DRH reprochent à leur tour à leur direction leur conservatisme à ne vouloir attirer que des jeunes issus des mêmes écoles. Lesquels jeunes reprochent à la société tout entière de les obliger, les pauvres biquets, à en passer par les bonnes écoles. Mais cette ritournelle entonnée depuis si longtemps est ravivée ces derniers temps grâce à un autodidacte de plus. Un cancre qui a réussi.
Une histoire comme le monde de l’entreprise les aime, même s’il ne fait rien pour qu’elles arrivent en son sein. L’histoire, c’est celle de Nick D’Aloisio. Le jeune homme a été sacré meilleur entrepreneur de l’année par le Wall Street Journal dans la catégorie techno. Jusque-là rien d’extraordinaire. Des entrepreneurs couronnés, il y a un chaque année. Sauf que Nick a 18 ans, qu’il a vendu une appli de son cru à Yahoo! pour 38 millions de dollars et qu’il n’a même pas l’équivalent de son Bac en poche. Raisonnable, il a pourtant promis de suivre des cours par correspondance et de poursuivre des études scientifiques. À moins qu’il ne décide de fonder une nouvelle boîte. Il n’est pas encore bien sûr.
Une aventure de cancre, qui ressemble à celle de Steven Spielberg. Le réalisateur américain, qui avait décroché de son école de cinéma dans sa jeunesse pour faire la carrière que l’on sait, s’est ravisé à l’âge de 50 ans. En 2002, pour faire plaisir à ses parents, il a enfin obtenu son diplôme universitaire d’études d’arts du cinéma à Los Angeles. La condition pour obtenir le diplôme ? Présenter un film de 12 minutes minimum. Spielberg a débarqué avec ses bobines de La liste de Schindler, pour laquelle il avait récolté les Oscars du meilleur film et meilleur réalisateur. Le jury n’a pas pu lui refuser le diplôme.
Plus ancien encore, un autre autodidacte s’est ravisé lui aussi. Il s’agit de feu le pilote argentin Juan Manuel Fangio. L’homme détient toujours un record inégalé : celui du nombre de victoires en Formule 1 : il en a décroché 24 en 51 participations et fut, accessoirement, 5 fois champion du monde. Mais il manquait quelque chose à son palmarès : son permis de conduire. Il le passa, et le réussit, 4 ans après sa retraite des circuits en 1961. On imagine la tête du pauvre inspecteur sur le siège passager.
Où sont désormais les Fangio, les Spielberg et les D’Aloisio ? Ils ne trouvent leur salut que dans des boulots hors normes, et rarement au sein des entreprises. C’est tant mieux pour eux, puisque leur talent trouvera à s’épanouir ailleurs. Mais c’est tant pis pour les entreprises.
@Syl_DiPasquale © Cadremploi.fr – 12 novembre 2013

Dessin par Charles Monnier © Cadremploi.fr
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.