Evaluation, piège à cadres

Sylvia Di Pasquale

« Bonne évaluation en janvier, augmentation en février ». Bon, évidemment, voilà un sacré bout de temps que la valeur de ce dicton est toute relative. Ce qui n'empêche pas le rite de se perpétuer. Au début de l'année, on s'embrasse toujours sous le gui et, dans chaque entreprise, on rencontre son N+1 pour qu'il procède à un entretien d'évaluation de notre petite personne.

Il y a certes des entreprises où ce genre de rendez-vous est avant tout l'occasion de se retrouver au japonais du coin pour se faire le menu E et remplir tranquillement la grille avec le boss. Mais il y en a tant d'autres où l'affaire prend une toute autre tournure. Alors, au lieu de profiter utilement de la trêve des confiseurs pour s'occuper (enfin) de leurs enfants et écluser sereinement leurs dernières RTT, les futurs évalués et leurs évaluateurs se font du mouron. Et passent leurs nerfs en dévalisant les rayons « entretien d'évaluation » des librairies ou en googlisant jusqu'au trognon l'expression et ses équivalents. Puis chacun de se préparer à la joute, pour recueillir le maximum d'astuces, utiles à caser pendant l'entretien pour prendre l'avantage, versus pour couper le sifflet à son interlocuteur.

Parallèlement, les deux parties passent aussi du temps à bachoter le fond. Le futur évalué récapitule son année et s'attaque à la viagratisation de ses exploits, histoire de saturer la colonne « points forts » de la grille d'évaluation. La position de l'évaluateur n'est pas plus sereine puisque le voilà obligé de préparer les entretiens de ses ouailles avec des contre-attaques personnalisées. Il le sait, tout le monde n'osera pas lui demander une augmentation pendant l'entretien mais deux ou trois fortes têtes n'hésiteront pas à le malmener sur le sujet. Il lui faut donc savoir remettre tactiquement toute promesse de discussion sur d'éventuelles augmentations de salaire.

Et après ? Le jour J, le chef de service prendra consciencieusement des notes en adoptant la fameuse position d'« écoute active » qui consiste à flatter celui qu'on écoute en prenant un air pénétré à chacune de ses phrases. Le cadre évalué donnera ses arguments qui finiront en petites croix sur le formulaire XB 758. Tout ceci sera soigneusement glissé dans son dossier perso, enfermé dans une armoire fermée à clé dans les bureaux de la DRH.

Curieusement, après moult réflexions, tergiversations et débats, tous les pédagogues de la planète sont plutôt d'accord pour considérer que les contrôles continus valent toujours mieux que des bachotages aussi vite faits que mal faits. Mais ce qui fait aujourd'hui autorité dans le domaine de l'éducation n'est pas évoqué dans le monde de l'entreprise où l'examen annuel perdure. Ce qui paraît non seulement rétrograde peut également être considéré comme une négation du rôle de manager, dont l'un des jobs consiste justement à jauger et évaluer ses troupes tout au long de l'année en leur décernant des encouragements ou en les aidant à mieux faire.

Faudrait-il pour autant rayer ce rituel du calendrier de la vie de bureau ? Certains jugent que ces petites rencontres ont du bon, qu'elles permettent de recadrer les dérives et parfois même, de propulser une carrière assoupie vers les firmaments d'une promotion inespérée. Parce qu'il est des entreprises où l'on ne se cause pas, où l'on ne manage pas, où un bon travail n'est jamais évalué. Alors, pour les salariés de ces boites, potassons tous en cœur « L'entretien d'évaluation pour les nuls », tout en préparant une fois de plus, les dossiers de nos affaires rondement menées et de nos objectifs explosés. Puisque dans nos entreprises à nous, tellement bien managées, l'entretien annuel ne sert tellement à rien.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

Vous aimerez aussi :