Fringues au travail : la dernière lutte des classes

Sylvia Di Pasquale

On en regretterait presque l'uniforme, le costard noir, la cravate pareille ou le tailleur anthracite. Car aujourd'hui, s'habiller correctement pour aller bosser exige au minimum que l'on soit titulaire d'une chaire d'anthropologie et d'un doctorat de socio. On exagère à peine, car en lisant l'excellent dossier de Une du magazine Liaisons Sociales de la rentrée, on mesure l'étendue de la difficulté et la solitude du cadre face à son dressing. La faute au casual, à Mark Suckerberg, à l'Internet tout entier et aux cols blancs de cette économie en particulier.

Car ce sont eux les vrais coupables : ceux qui ont définitivement ringardisé la tenue uniformisée des cadres d'antan, et nous ont fait croire que désormais, on pouvait s'habiller comme on voulait pour aller travailler. Or, rien n'est plus faux et rien n'est plus compliqué que de dégotter la bonne tenue. Car « les non-codes sont des codes », explique une consultante interrogée par le journal. Des non-codes autrement plus coton à décoder que les codes que l'on connait.

Ne zappez pas, nous tentons l'explication. On s'aperçoit que, sous couvert de tenue décontractée à base de jeans, de costards déstructurés et/ou dépareillés, de cool attitude assumée, toutes les entreprises, toutes les fonctions, tous les métiers ont créé de nouveaux uniformes finalement aussi stricts qu'avant.

Sauf qu'il est plus difficile de les reconnaître et de les adopter. Surtout lorsque l'on n'appartient pas au cercle des initiés.

Opération caméra cachée : entrons dans les locaux d'une grande agence de publicité, d'un grand média ou d'un grand site Internet. On y voit de jeunes gens décontractés ou habillés n'importe comment. C'est ce que l'on croit. Approchons la caméra : le jean est peut-être déchiré, mais il vient de chez Calvin (Klein). Quant aux baskets, elles sont signées Paul (Smith). Et attention à la faute de goût.

Évidemment, tout le monde ne bosse pas dans une entreprise hype. Mais tous les secteurs fonctionnent avec des codes précis, établis de manière arbitraire et, surtout, de façon tacite et non-dits. Du coup, ils sont réservés à ceux qui savent et qui en sont. De la bonne classe sociale surtout. Ce qui fait dire à un anthropologue interrogé par le magazine que « les gens qui méconnaissent les codes trahissent leurs origines et les préjugés restent puissants à leur égard. » Quand la lutte des classes vient se nicher jusque dans la couture du jean, de la semelle des chaussures ou de la marque du sac à main.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 5 septembre 2011

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Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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