Internet, le dazibao du boulot

Sylvia Di Pasquale

On sait bien que le Net a remplacé le confessionnal. Que les blogs-forums-rézosocio and co ne sont qu'un excellent moyen de livrer son intimité. La masse indistincte a remplacé le curé bien ordonné. Soit. Mais voilà qu'après avoir supplanté les clochers, la Toile est en train de menacer les bastions syndicaux. Des bastions qui, depuis belle lurette, ne sont plus que des cabanons, on vous l'accorde. Mais quand même.

Les confédérations, du temps qu'elles existaient pour de vrai, ça vous avait une bonne gueule de délégué toujours prêt à discuter (ou à en découdre) avec le voisin d'en face : le patronat (forcément d'un autre camp). L'affaire tournait tant bien que mal, puis de plus en plus mal et puis plus du tout. Ce qu'on osait encore appeler «  dialogue social » est tombé définitivement en panne.
Alors quoi ? C'est fini ? Plus moyen de se plaindre de ses conditions de boulot harassantes, de son salaire famélique ou de son chefaillon hystérique ? Heureusement, le Web a mis son bleu de chauffe, déployé ses banderoles et nous a pondu tout un tas de petits sites qui ne demandent qu'à recueillir les doléances. Sur jobdemerde.com, on se lâche, on se plaint du quotidien et on juge sa carrière à l'aune de sa propre loose.  « J'ai deux DUT en informatique, suivi de 5 ans d'expérience et me voila maintenant à faire des sushis ». Sur saleboulot.com - né lundi dernier -, on rit et on se défoule. Puisqu'il existe des « gisements d'activité encore inexploités », un petit malin encourage ses contemporains à créer leur propre job parce que «  le Sale Boulot, quelqu'un doit bien s'y coller... » Untel propose de jeter votre plateau MacDo à votre place. Unetelle propose ses services comme testeuse de fidélité de maris. Un autre veut devenir grondeur d'enfants et un autre doux dingue se met à la disposition de ses futurs clients en temps que défouloir humain. L'insulter est une bonne manière de se relaxer, dit-il.

Et puis, il y a jobfact.com. Les grilles de salaire ont explosé et l'inégalité hommes -femmes s'est mieux que maintenue. Alors ici, chacun livre sa feuille de paie et la compare à celles des autres, par entreprise ou par métier. Une manière évidemment, outre le voyeurisme induit par ce type de site, de palier à l'abdication du dialogue social.
Ce phénomène d'ampleur - et encore n'évoquons-nous pas ici les myriades de blogs ou leurs auteurs déversent leurs rancœurs -  fera sans doute se pâmer tous les netophiles et webologues. Ils nous expliqueront que l'ère de la libre parole est advenue et que la démocratie totale est parvenue. Grâce à la Toile, évidemment. Nous, on se contentera de signaler que cette multiplication des dénonciations, plaintes, douleurs écrites ou défoulements du clavier ne sont que des bouteilles à la mer. Il se trouve que le Web est passé par là.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 25 mai 2009

Illustrations : Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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