Jusqu'où « Faire le job » ?

Sylvia Di Pasquale

On ne va pas refaire le match. Quatre jours après les faits, tous les zincs, toutes les officines politiques, tous les plateaux médiatiques et les instances publiques ont commenté et disséqué la main de Thierry Henry.
Mais si ce petit geste qualificatif du capitaine engage le fair-play - voire l'honneur - de l'équipe de France de foot, il nous concerne aussi très directement dans notre vie et dans nos entreprises.

Et c'est peut-être pour cela qu'il a créé un tel tohu-bohu. De quoi le buteur des bleus - et l'un des

meilleurs d'ailleurs - est-il le symbole ? Si ce n'est d'une certaine manière d'agir qui tend à devenir la règle. Elle consiste à « faire le job » sans se poser de questions, sans se soucier de contraintes soi-disant annexes, quitte à frauder.

Rentrer 10 000 euros de chiffre en plus d'ici 2 jours pour remporter le challenge mensuel ? Fastoche, il suffit d'appeler les copains, de leur faire signer des bons de commande et de les annuler 3 jours après le closing. Pas vu, pas pris.

Ouvrir un nouveau magasin 2 semaines avant la dead line sur injonction du boss ? Hyper simple, suffit de promettre une prime aux ouvriers, qu'ils n'auront pas mais ça c'est le problème du sous-traitant s'il est trop crédule.

Ne pas avouer qu'on vient de mettre un but grâce à une main providentielle ? Suffit de ne rien dire à l'arbitre, il n'avait qu'à faire son job correctement.

L'objectif fixé doit être atteint et c'est bien la seule chose qui compte. Au foot comme au boulot, la fin justifie les moyens. Et c'est bien ce que nous dit l'étude mondiale sur les fraudes en entreprise que vient justement de réaliser le cabinet PricewaterhouseCoopers pour la 5ᵉ année consécutive. En sondant 3 000 entreprises sur la planète, le cabinet est formel : 30 % des entreprises se disent victimes de fraudes. C'est pire dans les grands groupes puisque la moitié des entreprises de plus de 1000 salariés s'estiment touchés. En France, les fraudes comptables sont passées de 23% en 2007 à 33% en 2009.

Détournements d'actifs, fraudes comptables ou corruption internes explosent. Les fautifs ? Vous n'allez pas le croire : le middle management. Les cadres donc, qui brouillent les pistes et arrangent la vérité pour atteindre les objectifs fixés par la direction.

Une vieille histoire que ces objectifs à tenir coûte que coûte et que tous les cadres connaissent bien. Contourner les lois plutôt que les respecter ? S'il faut en passer par là pour « faire le job», il n'y a pas à tortiller.

Bien sûr, certains ont des scrupules, un vieux fond moral qui les travaille. Alors, quelques-uns hésitent, tergiversent et même, parfois, renoncent à « faire le job ».

D'autres le font à leur place, et gagnent à leur place. Ces derniers sont confortés depuis quelques jours.

La France du foot a donné aux sans-scrupules une nouvelle raison d'exister. La tricherie de « Handy Henry » est récompensée par un ticket pour l'Afrique du Sud pour lui et ses copains ; et un blanc-seing des instances sportives et gouvernementales et sans doute d'une partie des Français cramponnés à la bonne vieille loi du plus malin. Tricher pour gagner n'est pas une faute, c'est désormais une norme NF. Sur le terrain comme au bureau, pour « faire le job » coûte que coûte. Et tant pis s'il faut s'aider d'une main. Ou même se salir les deux.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 23 novembre 2009

Illustrations : Charles Monnier © Cadremploi

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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