La finance va manquer d'Echos

Sylvia Di Pasquale

On ne peut pas endosser sur ses frêles épaules toutes les misères du monde. Et un honnête cadre turbinant dans la banque ou la finance a peu de raison de se faire du mouron pour les quelques dizaines de journalistes du quotidien Les Echos en bisbille avec leur nouveau boss : le diversifié et richissime Bernard Arnault. Après tout, on ne choisit pas sa famille et encore moins son patron. Alors, vous pensez bien que ce ne sont pas les états d'âmes de quelques journaleux qui vont pousser nos banquiers, traders ou capital riskeurs dans la rue, comme le premier étudiant venu en rébellion contre une énième réforme universitaire.

Nos cols blancs pourraient pourtant faire valoir quelques bonnes raisons pour s'en aller défendre les Echotiers. Car l'indépendance revendiquée par ces derniers, qui risque selon eux d'être mise à mal après le passage du journal dans le giron de LVMH, est finalement l'une des clés du succès des placements capitalistiques et boursiers des premiers.

Pour faire court, scrutons les raisons des emballements du marché. Lorsqu'ils concernent les matières premières, ils sont généralement le fruit des affres de la politique internationale. Et lorsqu'ils concernent des entreprises cotées, c'est en raison de la publication de leurs résultats présents ou futurs et des commentaires qu'ils suscitent. Bref, dans tous les cas ce sont des informations qui font et défont le joyeux monde de la finance. Et quand celles-ci sont tronquées, biaisées ou sélectives, ce sont nos financiers qui s'en font. Dans un monde sans info rien ne tourne rond. Ni nos petites vies de citoyens sourcilleux de démocratie, ni les grandes vies des flux financiers internationaux. Evidemment, il serait naïf d'éviter la question de l'indépendance de la rédaction après ce rachat. Que l'homme s'offrant le leader de la presse économique française voit d'un mauvais œil s'y imprimer des vilénies sur son compte et celui de ses sociétés est d'une logique frôlant le bon sens terrien. Un dirigeant d'entreprise contrôle sa communication comme il le fait pour ses ventes, ses finances, ou sa production. L'inverse serait digne d'une lourde psychanalyse ou d'une farouche volonté de perdre de l'argent.

En fait la question que pose la jacquerie des journalistes des Echos contre leur nouveau boss est bien plus large. La France est l'un des rares pays occidentaux où la presse appartient, dans sa majorité, à des industriels, et non à des groupes de presse plus ou moins puissants, comme c'est le cas en Allemagne, en Italie, aux Etats-Unis, ou en Angleterre. La raison en est très simple. Sans le renfort des industriels en question, nombre de ces titres seraient moribonds ou déjà enterrés. La faute à pas de chance ? La faute à pas de lecteurs, surtout. Car le pays qui se lamente de cette acquisition ou d'autres est le même où l'argent consacré à l'achat de journaux quotidien est la plus faible par an et par habitant. La France a peut être l'information qu'elle mérite. Elle risque surtout de voir ses financiers et traders se tourner vers des sources d'informations plutôt anglo-saxonnes, pour guider leurs choix en matière d'investissements. C'est déjà le cas...

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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