Le CV anonyme porté disparu

Sylvia Di Pasquale

Il est vénéré, panthéonisé, mais bel et bien enterré. Alors une dernière fois, rendons lui hommage. Entonnons, avec le fantôme de Malraux, « entre ici, CV anonyme, avec ton terrible cortège. (...)Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle - nos frères dans l'ordre de la Nuit... ». Il n'était pourtant pas très vieux, le curriculum sans nom, sans âge et sans vie privée.

 

Tout juste 6 ans que Claude Bébéar, l'avait porté sur les fonts baptismaux, au soir d'une vie professionnelle d'ex-PDG d'Axa. De vénérables sénateurs lui ont emboîté le pas deux ans plus tard, votant comme un seul homme, et à une belle majorité, l'obligation du fameux CV dans toutes les entreprises de plus de 50 personnes. On se disait à l'époque que la révolution de l'anonymat était en marche, que les recruteurs ne pourraient plus éliminer Jeannine Trucmuche ou Mohamed Ramdane.

 

Plus de femmes, plus de noms à consonance exotique : on était tous devenus des numéros et des compétences. Et même que les entreprises qui ne respecteraient pas la loi allaient se faire taper sur les doigts. Alors, on a attendu le décret d'application. On s'est dit qu'au 1ᵉʳ janvier 2007, ce devait forcément être sur les rails. Pareil en 2008, pareil l'an passé. De décret, il n'y eut jamais. En plus, la crise est passée par là. On avait d'autres banquiers à fouetter et on l'a oublié.

 

Bien sûr, le CV anonyme a eu ses soubresauts, ses spasmes. Comme ce jour de l'hiver 2008 où Yazid Sabeg est devenu Commissaire à l'égalité et à la diversité des chances et qu'il a exhumé le curriculum incognito. Mais il est rapidement devenu le commissaire au budget zéro, aux effectifs tout aussi pléthoriques et aux réalisations du même tonneau. Agonisant, le CV anonyme a tout de même eu droit à quelques soins palliatifs et le médecin qui s'est penché à son chevet n'est pas un rebouteux. A l'automne dernier, Nicolas Sarkozy lui-même s'en est préoccupé. Et d'engager une grande campagne d'expérimentation nationale, avec la complicité du Pôle emploi.

 

Le résultat ? Difficilement contrôlable et mesurable, puisque le tout repose sur le volontariat et que, selon Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'Emploi, il n'est pas question de le rendre obligatoire. Le CV anonyme est donc définitivement enterré et c'est Malek Boutih, candidat malheureux à la présidence de la Halde, qui a enfoncé le dernier clou de son cercueil ici même. Pour lui, « le CV anonyme, c'est impossible à mettre en place et c'est idiot ». Fermez le ban. Circulez messieurs-dames et oubliez le débat avec ceux qui y croyaient, car il pouvait laisser sa chance à un discriminé sur CV classique, de décrocher un entretien. Ou avec les autres, persuadés au contraire que l'anonymat complexifie et rend le recrutement encore plus procédurier.

 

Alors que ce dernier se doit avant tout d'être une rencontre entre un recruteur et un recruté. Tous ceux là, peuvent aujourd'hui remiser leurs arguments. Ou les inscrire sur la couronne funéraire.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 26 avril 2010

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

 

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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