L’entreprise à mission : entreprise de demain ou gros baratin ?

Sylvia Di Pasquale

L’entreprise à mission : entreprise de demain ou gros baratin ?

Connaissez-vous l’appellation « entreprise à mission » ?  Rien à voir avec le contrat de mission : elle désigne une boîte qui s’engage pour la résolution d’un enjeu de société - dessein plus noble qu’un CDD extensible.

Cette appellation qui repointe son nez dans l'actu ces temps-ci désigne une entreprise citoyenne qui se préoccupe autant de ses salariés, de ses concitoyens, de la planète que de ses actionnaires. Et qui érige le partage des richesses, les préoccupations environnementales et sociétales au même niveau que la recherche de profit.

Elles sont actuellement deux en France à avoir inscrit leur mission sociétale dans leur statut (La Camif et Nutriset). Mais elles pourraient rapidement être plus nombreuses si l’on en croit une récente enquête réalisée par Viavoice pour le cabinet de conseil Prophil. 623 dirigeants d’entreprises s’y sont exprimés et 48 % d’entre eux sont partants pour cette sorte de troisième voie entre l'entreprise lucrative traditionnelle et l'entreprise de l'économie sociale et solidaire. 15 % d’entre eux estiment même déjà correspondre aux critères.

On voit, bien évidemment, l’impact immédiat de ce type de statut, et les patrons sondés l’ont vu aussi. 73 % estiment qu’il aura une véritable influence sur leur marque employeur, alors que 83 % d’entre eux songent déjà à la bonne image que leur entreprise ainsi désignée véhiculera auprès de leurs clients. Sans compter sur le bonheur de travailler retrouvé des collaborateurs, forcément ravis de bosser pour une boîte qui se préoccupe de faire du profit respectueux.

Évidemment, les sceptiques de tout poil et les pessimistes systématiques rétorqueront que la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise), c’est pas pour les cochons et que ce type de dispositif existe déjà. Sauf que les chartes vertes, sociales, équitables et vertueuses sont parfois utilisées comme de simples paravents de vertu destinés à attirer le chaland, qu’il soit candidat ou client. L’entreprise à mission est d’un autre tonneau.

68 % des dirigeants interrogés par Viavoice pour Prophil souhaitent carrément la création d’un cadre juridique pour la graver dans le marbre. Traduction : l’ensemble de ces actions doit être inscrite dans le statut même de l’entreprise. C’est une garantie de son application, certes, mais c’est peut-être aussi la garantie de sa limite. Pour des entreprises du type coopérative, ou qui ne disposent que de quelques actionnaires, inscrire le partage des richesses dans les statuts est tout à fait possible. Les actionnaires, salariés ou non, peuvent être conquis et convaincus.

C’est le cas de la Camif qui a procédé ainsi. La maison, aujourd’hui propriété du distributeur de matelas Matelsom, a vu dans cette pratique une excellente manière de protéger l’image de l’ex-mutuelle des instits. Il en va de même ailleurs pour la boîte de vêtements de surf Patagonia, dont les propriétaires ont vu immédiatement l’adéquation entre leurs produits et ce statut. Même constat chez DanoneWave, la filiale canadienne du groupe français spécialisée dans les produits vegan. Tous se sont pliés aux règles de « l’entreprise à mission » sans condition, car elle correspond à ce qu’elles sont.

Mais quid du groupe Danone lui-même ? Quid de tous les grands groupes qu’ils soient du CAC ou non et qui trouvent sur les marchés financiers leurs ressources ? Expliquer à des actionnaires appâtés par les gains à court terme que dorénavant les salariés et les clients sont aussi importants qu’eux, relève de la gageure. Au moment même où les dividendes n’ont jamais été aussi élevés, atteignant 1000 milliards d’euros dans le monde. Au moment où même Apple, coutumier du non versement de ses bénéfices lâche du lest, les actionnaires récompensés accepteraient de céder une part du gâteau ?

Il en va de même pour d’autres tenanciers des cordons financiers, moins disséminés, comme les fonds de pension pour qui l’investissement dans une entreprise est un placement qui doit rapporter chaque année de quoi payer les retraites des métallos du Michigan. Leur expliquer qu’à court terme ils en sortent moralement grandis et qu’à moyen terme, la planète sauvée, les salariés récompensés et les clients satisfaits leur garantiront de meilleurs dividendes qu’aujourd’hui, risque de ne pas suffire.

Tous ces écueils pourraient réserver le futur statut d’« entreprise à mission » à des entreprises bien spécifiques. Pour les autres, la citoyenneté totale n’est pas pour tout de suite. Mais à défaut d’une grande enjambée vers plus de solidarité, cette idée peut accoucher d’un petit pas vers plus d’égalité. Bruno Le Maire, prépare pour le printemps sa loi baptisée Pacte 2018. Le but du ministre de l’Economie ? Mieux associer les salariés aux résultats de l’entreprise. C’est déjà ça.

@Syl_DiPasquale © Cadremploi

Dessin de Charles Monnier : "Pour qui roule votre entreprise" ?

>> Lire aussi sur Le Figaro : L'entreprise à mission, le modèle prometteur en France ?

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Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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