
Quand l’Observatoire des inégalités livre son rapport*, il ne s’encombre pas d’analyses au petit bonheur. L’organisme se contente d’asséner des chiffres. Mais ces données suffisent à laisser apparaître la France d’aujourd’hui. Le nombre d’éléments passés au crible est tout simplement impressionnant. Du soin des dents selon les catégories professionnelles comparé à l’espérance de vie, le logement, la voiture ou le taux de possession de lave-vaisselle (présent chez 69 % des cadres mais chez seulement 43,5 % des ouvriers), sans oublier les salaires de chacun, c’est une somme de données chiffrées et ultra-précises qui s’étalent sur 180 pages. Et on a beau additionner, comparer, jauger, soupeser cette somme, on a beau en retourner et relativiser les résultats, force est de constater qu’effectivement, les cadres sont riches.
Une richesse que les auteurs du rapport n’ont pas établi selon leur humeur du moment, mais grâce à un calcul très simple : selon eux, un Français est aisé lorsque sa rémunération est égale ou supérieure au double du revenu median (après impôts et prestations sociales), c’est-à-dire lorsqu’il atteint 3 045 euros. Or, la médiane des salaires des cadres en France est à 4 000 euros selon les derniers chiffres de l’Apec.
Si l'on fixe le seuil de richesse au niveau du double du revenu médian, on devient riche à partir de 3 045 euros pour une personne seule, 5 940 pour un couple et 7 797 pour une famille avec deux enfants.
On oublie de relativiser ces différences en tenant compte des investissements de tous ces cadres en longues années d’études ? Les auteurs ne l’oublient pas : elles sont remboursées en une seule petite année. Sauf qu’il y a le stress, le burn out, autant de maladies professionnelles reconnues ou non dont ne souffrent pas les populations les moins aisées. Certes mais ces désagréments sont largement compensés par une attention beaucoup plus grande aux soins, aux vacances et aux loisirs. Et pour cause. Avec un résultat sans appel : une espérance de vie augmentée de 6,7 ans par rapport aux ouvriers. Quant au risque de perdre son emploi, il est deux fois moins élevé pour un col blanc.
Alors on en fait quoi de ce rapport ? On le cale sous le pied de son joli bureau et on l’oublie un peu honteusement ? On l’exhibe triomphalement, fier de sa réussite ? On peut aussi s’en emparer pour y constater un accroissement des inégalités, y découvrir qu’elles ont augmenté de 274 euros par mois entre les plus riches et les plus pauvres depuis 2004, que le nombre d’allocataires du RSA a augmenté de 365 274 depuis 2006. Et fort de ces chiffres, on peut néanmoins continuer à vivre sans avoir le (bon) salaire honteux tout en œuvrant dans le sens d’une société plus saine et plus respirable.
Reste à définir une telle société. Est-ce celle qui tend au plus petit revenu commun ou à son exact inverse ? Est-ce une société du "que le meilleur gagne" ou une société plus équitable et fondée sur d’autres valeurs que la seule compétition ? Comme le soulignent les auteurs du rapport « Tout cela impose de faire des choix et de négocier des compromis. » On ne saurait mieux dire.
@Syl_DiPasquale ©Cadremploi
Dessin de Charles Monnier ©Cadremploi
* Le rapport n’est pas disponible en ligne mais peut être commandé. L’Observatoire des inégalités est une association créée par des sociologues, des économistes, des juristes et des journalistes sans lien avec les structures publiques officielles.
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.