L’heure de la gig economy est-elle venue ?

Sylvia Di Pasquale

L’heure de la gig economy est-elle venue ?

Bienvenue dans un monde merveilleux. Bienvenue dans un monde où l’on choisit ses horaires de travail et où l’on n’a plus de patron, puisque l’on est son propre boss. Ce monde merveilleux de l’emploi, c’est l’indépendance envisagée par 53 % des Français, selon la récente étude d’ADP*, un éditeur de logiciels RH. Plus de la moitié des Français s’imagine donc indépendants à court ou à plus long terme. C’est beaucoup, mais c’est moins que chez nos voisins européens qui sont 68 % à s’imaginer se libérer du salariat.

Du coup, le sondeur a voulu comprendre les motivations de ces indépendantistes. Parce que ce statut permet d’avoir le bon équilibre de vie entre vie pro et vie perso, estiment un tiers des interrogés. Ils veulent pouvoir choisir librement leurs horaires et travailler sans entraves. C’est vrai qu’elle fait drôlement envie, cette vie.

Marre de bucher sur un projet ? Allons planter des choux. Marre d’avoir un chefaillon sur le dos ? Devenons chef. Marre de manager ? Bossons tout seul. Le monde tournera tellement mieux quand tout le monde sera libéré et délivré. Sauf que ce monde ressemble au pays de Oui-Oui où les actifs portent une clochette au bout du bonnet, vont au travail en voiture jaune et rouge et bossent dans un bureau qui ressemble à un champignon géant. C’est charmant, à défaut d’être réaliste.

C’est que le quotidien des entrepreneurs n’est pas aussi rose que celui de Oui-Oui. Ils travaillent quand ils veulent ? Ils travaillent surtout en fonction des demandes, des urgences et parfois des lubies de leurs clients. Quand ils ont la chance d’en avoir plusieurs. Ils s’imaginent refuser une commande pour aller planter des choux ? Le risque est de voir le client les planter d’un coup, excédé d’avoir été planté. Et leur banquier d’emboiter le pas.

Les salariés rêvent d’indépendance. Mais certaines entreprises aussi pardi, qui rêvent d’une « réserve de talents polyvalente », comme le résume Carlos Fontelas de Carvalho, le président d’ADP France. Un projet urgent pour le lendemain ? Il y aura toujours un freelance pour l’accepter. Et libre à lui d’y travailler toute la nuit. Besoin d’une compétence que les salariés de la maison ne possèdent pas ? Rien de plus simple que de lancer une offre de mission sur une plateforme numérique pour la dégotter. Sans l’entrave des contrats de travail.

Baptisée « Gig economy », pour économie des petits boulots, ce marché du travail rassemblerait des travailleurs externes à l'entreprise – des intérimaires, des prestataires sous contrat ou des indépendants employés à la demande. Il prospère sur l’idée qu’il serait aujourd’hui plus facile de trouver un client qu’un employeur.

« Il n’est rien au monde d’aussi puissant qu’une idée dont l'heure est venue », affirmait Victor Hugo, ce grand défenseur des droits de l’homme. L’heure de cette gig economy est-elle venue ? Est-ce que tout le monde y va les yeux grand ouverts ? Combien d’entreprises estiment qu’elles obtiennent de meilleurs résultats avec des permanents qu’avec des freelance, par essence zappeurs ? Et sur combien de leurs métiers ? Quels salariés sont suffisamment employables pour se lancer dans l’indépendance sans y perdre leur liberté ?

En 2015, les indépendants représentaient 10% de la main d’œuvre active mais on ne dispose d’aucun chiffre récent qui confirme leur progression. C’est peut-être pour cette raison que l’étude apporte des conclusions prudentes : « Si la gig economy comporte de nombreux avantages pour les employeurs (…), estime le président d’ADP, elle peut également représenter un véritable défi. Ils pourraient perdre des salariés dont l'expertise leur serait précieuse, tandis que les salariés eux-mêmes pourraient perdre le contrôle sur la situation qu'ils avaient espérée, notamment par peur de refuser un travail, qui ne leur serait alors plus jamais proposé. »

Si la tentation de l’indépendance est au goût du jour, et devrait malgré tout faire florès, elle ne devrait pas pour autant tout emporter. Car tout le monde n’y a pas, pour l’heure, intérêt.

@Syl_DiPasquale ©Cadremploi

Dessin de Charles Monnier

* Etude ADP « The Workforce View in Europe 2017 » est une étude européenne menée auprès de 9920 individus, qui couvre tous les secteurs industriels de huit pays du continent. www.fr.adp.com/gestion-capital-humain/workforce-view/workforce-view

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Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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