
C’était pourtant une bonne idée. Une évidence même : sponsoriser l’exposition temporaire Nous et les autres : des préjugés au racisme, actuellement au Musée de l’Homme à Paris, toutes les entreprises auraient dû y penser. En ces temps de chartes éthiques, de main sur le cœur des boîtes qui jurent lutter contre les discriminations à l’embauche, les sponsors auraient dû se bousculer pour en être. Mais on a beau regarder aux quatre coins de l’affiche et dans les recoins du catalogue et du programme : rien. Pas la moindre entreprise classique – en dehors des partenaires media et de la RATP – n’a osé miser un euro sur l’expo. Il y a bien des entreprises mécènes pour le musée dans sa globalité, mais aucun pour cette expo en particulier.
Les entreprises ont peut-être préféré s’offrir des visites privées pour y envoyer leurs collaborateurs ? Une pratique courante à l’occasion des grandes expos. Alors on se renseigne, on contacte le service idoine du musée. Et rien de rien non plus : aucune réservation de groupe émanant d’un groupe, ni même d’une PME.
Et pourtant, voilà une expo aussi subtile qu’efficace pour déconstruire les préjugés et attaquer les discriminations par la racine. Elle décrypte scientifiquement, simplement et ludiquement le processus en trois phases qui produit la discrimination et le rejet de l’autre. Elle nous immerge dans des univers où l’on détaille ses semblables : le quai d’un métro, une salle d’embarquement d’aéroport ou la terrasse d’un café. Et au fil des jeux du parcours, elle met à nu les mécanismes à l’œuvre dans notre cerveau, cette petite usine à clichés qui ne peut s’empêcher d’étiqueter, de classer et de juger les gens que nous croisons.
Un processus qui débute avec la catégorisation que nous faisons tous. Car tout le monde remarque qu’un passant est noir ou asiatique. Ce qui est, après tout, la moindre des choses. C’est ensuite que ça se gâte parfois. Car certaines personnes essentialisent ces différences, pour définir une personne selon un seul des critères qui la composent. On vous le donne en mille : c’est souvent sa couleur de peau ou sa religion supposée, rarement son talent de joueur d’échecs. Troisième lame de ce rasoir du racisme : la hiérarchisation que produit cette essentialisation. On considère que telle couleur vaut mieux que telle autre couleur de peau (idem pour la religion, les préférences sexuelles, la classe sociale, etc.) Et devinez quoi ? On se place soi-même en haut de la pile lorsque l’on est embringué dans ce processus. « On a très vite tendance à préférer son groupe par rapport aux autres, même si la manière de définir ce groupe est basée sur rien du tout », précise sur France Inter l'anthropologue généticienne Évelyne Heyer, également commissaire scientifique de l’exposition.
Ce déroulé du pire, simple et ultra efficace est mis en scène au Musée de l’Homme comme une évidence devant laquelle tout le monde est amené à se reconsidérer. Y compris dans les entreprises et, dans quelques jours, dans les bureaux de vote. « On s’est mis dans une position de scientifique, pas dans celle de donneur de leçon », rassure Évelyne Heyer. L’exposition se tiendra jusqu’au 8 janvier 2018.
@Syl_DiPasquale ©Cadremploi.fr
Dessin de Charles Monnier
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