Payé pour quitter sa boîte

Sylvia Di Pasquale

Garder des salariés démotivés contre leur gré, c’est mauvais pour la productivité. « Vous êtes mignons mais comment les faire partir tout en restant bons amis ? », se demandent la tribu des RH gardienne de la sacro-sainte marque employeur. Jeff Bezos, l’inénarrable patron d’Amazon, a eu une idée : un programme baptisé « pay to quit » qui consiste, en gros, à offrir un chèque aux salariés qui veulent démissionner. La première année, le pactole est de 2 000 dollars, et chaque année, Jeff en remet 1 000 au pot, jusqu’à hauteur de 5 000 dollars. En réalité, la paternité de cette idée revient au PDG de Zappos, Tony Hsieh, qui l’a instaurée dès 2008 dans son groupe.

 

But avoué de cette prime au départ annoncée la semaine dernière aux actionnaires d’Amazon : ne conserver que les gens motivés et faire fuir les autres. On peut s’extasier devant le bon sens de ces deux patrons. On peut aussi se dire que ce système existe depuis des lustres en France, et que le « pay to quit » de Bezos et de Tony Hsieh n’est que la version américaine et privatisée de notre bon vieux « guichet départs » sévèrement encadré.

 

On peut surtout se demander si cette mesure n’est pas totalement contre-productive. Suffit de se mettre dans la peau d’un Amazon boy/girl moyennement motivé pour s’en convaincre. La carotte de départ nous intéresse. Mais plus grande est la prime, plus grand est notre intérêt. Alors pourquoi ne pas patienter quatre ans pour s’en aller avec le gros lot ? Quatre ans au cours desquels on pourra jouer la motivation tout en comptant les jours qui nous séparent de la quille et de la somme que l’on va encaisser en partant. 5 000 dollars en l’occurrence.

 

De ce côté de l’Atlantique, une mesure franco hexagonale, qui doit entrer en vigueur le 1ᵉʳ juillet prochain, risque de bousculer le joli mois de mai de nos DRH. Car à cette date, le délai de carence – cette période durant laquelle un salarié partant avec un pactole extralégal supérieur ou égal à 16 200€, ne touche pas ses indemnités chômage – va exploser. Il va passer de 75 à 180 jours. Un gros manque à gagner pour les cadres en partance. Alors le seul moyen de l’éviter consiste à choisir le bon mode de rupture les yeux rivés sur le compte à rebours. Car pour bénéficier de l’ancien régime, il faut clore la transaction de départ entre aujourd’hui et le 30 juin prochain. Bousculade assurée au guichet RH dès cette semaine car chaque jour compte. Embouteillage également assuré chez les avocats spécialistes en droit du travail. Des cadres démotivés mais tout fraîchement remotivés à l’idée d’être payés pour partir, les consultent pour savoir « s’il n’est pas trop tard pour négocier un licenciement classique, une rupture conventionnelle ou une faute grave. Et pour l’indemnité transactionnelle, jusqu’à combien puis-je demander ? »

 

Comme quoi, une bonne intention, qu’elle soit du fait de patrons soucieux de ne pas s’encombrer de salariés démotivés, ou du fait de l’Unedic, soucieuse de faire des économies, peut cacher des effets pervers, et des dommages collatéraux.

@Syl_DiPasquale

Dessin par Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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