Quand des héros borderline inspirent le management

Sylvia Di Pasquale

Quand des héros borderline inspirent le management

L’une est premier ministre (centriste), l’autre est médecin (clopinant) et le troisième n’est autre qu’un pape (américain). Mais pourquoi l’héroïne de Borgen, le Dr House et The Young Pope viendraient trainer leurs escarpins, canne ou encensoir sur Cadremploi ? C’est que, Birgitte Nyborg, Gregory House et Pie XIII, entre autres personnages de séries, nous donnent de magistrales leçons de management.

C’est la démonstration par la fiction à laquelle se sont adonnés Benoît Aubert et Benoît Meyronin, deux profs qui ont coordonné un récent ouvrage* écrits par des profs et des pros, tous fans de séries. Pour eux comme pour leurs treize auteurs, toutes les situations de la vraie vie de boulot se retrouvent dans les différentes saisons de nos trois opus américains, danois ou franco-italiens et dans les autres séries étudiées. Encore une tarte à la crème sur le mode « Star Wars et philosophie » ou « Politique et Game of Throne » ? Sauf qu’ici, la démonstration est ludique.

Prenons l’allure nonchalante de Hugh Laurie incarnant le Dr House. Voilà un manager sans aucune empathie pour ses subordonnées. L’entreprise bienveillante, c’est pas son truc. Il est de mauvais poil toujours, bourré de drogues parfois. Il est aussi cinglant avec ses patients qu’avec les jeunes médecins de son équipe. Et pourtant. House a des capacités intellectuelles hors du commun. Il obtient des résultats, et accepte même de reconnaître ses erreurs. « I was wrong » est même l’une de ses phrases fétiches. Des ingrédients qui l’absolvent en partie de ses lourdes carences. Mais il en est un autre qui le sauve, et qui en fait définitivement un manager crédible que ses équipes, même malmenées, suivent les yeux fermés : il n’est pas carriériste. Sa hiérarchie ? Il ne s’y oppose que lorsque sa mission est contrecarrée. Une mission qui ne consiste pas à obtenir une promo, mais à soigner ses patients. 

Changement de décor, et de costume, avec Lenny Belardo, le jeune pape américain et sexy de The Young Pope. La série du cinéaste italien Paolo Sorrentino n’est en aucun cas un manuel de management à appliquer à la lettre, fut-elle sainte. Mais voilà une réflexion sur le fonctionnement d’une entreprise et l’erreur de casting. Il est question d’un pape élu par des cardinaux qui l’imaginent facilement téléguidable. Sauf qu’Urbain XIII, le nom pontifical que s’est choisi le héros incarné par Jude Law, est à l’inverse de l’image qu’il a livrée au cours de sa campagne. Il entend placer l’institution millénaire à sa botte et ne s’en laisse pas conter par la curie. En plus, il a beau être jeune (47 ans pour un pape, c’est un âge de stagiaire), il a beau boire du Coca et fumer toute la sainte journée, il n’est est pas moins profondément réactionnaire. Pourtant, il va non seulement durer, mais s’imposer. En maitrisant sa communication, en mettant en place de précieux informateurs, en choisissant ses alliés, et en écartant ses ennemis. Encore une fois, on est à l’opposé de l’entreprise bienveillante moderne, mais encore une fois, on se retrouve face à un management efficace. D’autant que la réaction assumée au départ va peu à peu se transformer en réformisme mené là encore avec une volonté inébranlable.

>> Voir aussi : interview "On revient vers vous" de Majolaine Boutet, docteur en histoire contemporaine et auteure de Sériscopie

Birgitte Nyborg est à l’opposé du jeune pape. Géographiquement d’abord, puisque Copenhague remplace Rome. Politiquement ensuite puisque, à la réaction papale, s’oppose le centrisme réformateur de celle qui va devenir Premier ministre du Danemark dans la série Borgen. Mais surtout, ce sont les méthodes de management de la femme politique incarnée par Sidse Babett Knudsen qui sont à l’opposé de celle d’Urbain XIII. À ses méthodes parfois brutales, elle oppose le dialogue. Au pouvoir personnel, elle substitue le partage du leadership. Et à la structure rigide, Birgitte Nyborg, substitue l’adaptation permanente au changement. Borgen symbolise peut-être mieux que d’autres séries (Six feet Under, Narcos ou Mc Gyver également évoqués dans l’ouvrage) une manière d’être totalement raccord avec un management rêvé. Parce que Birgitte est une femme ? C’est du moins un indice, puisque la part de féminitude de House et de Lenny Belardo est très peu exacerbée dans leur travail, comme dans leur vie. 

@Syl_DiPasquale ©Cadremploi.fr

Dessin de Charles Monnier

* De MacGyver à Mad Men, quand les séries TV nous enseignent le management, Benoît Aubert et Benoît Meyronin, Dunod,19 €

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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