Quand les pilotes de Ryanair préfèrent la dépendance à l’indépendance

Sylvia Di Pasquale

Quand les pilotes de Ryanair préfèrent la dépendance à l’indépendance

Parfois l’actu sociale s’emballe et redonne du souffle aux bonnes vieilles théories économiques. Prenez les déboires de Ryanair. La compagnie aérienne low cost se voit obligée d’annuler plus de 2 000 vols ce mois-ci et pourrait en supprimer près de 18 000 d’ici mars prochain. Énorme. Autant que les explications fournies par la compagnie. Dans un premier temps, l’Irlandais dans la mouise a tenté de se justifier en soutenant que les vols cloués au sol l’étaient pour mieux les réorganiser et éviter les retards. Comme les observateurs ont légitimement émis quelques doutes, l’avionneur a évoqué des problèmes de planning dûs à un grand nombre de jours de congés à solder d’ici fin décembre par ses pilotes. Tiens donc. Pourquoi toutes les compagnies du monde parviennent-elles à faire décoller des équipages au complet durant ces trois prochains mois mais pas Ryanair ? Et pourquoi commandants de bord et co-pilotes ont refusé une prime respective de 12 000 et 6 000 euros pour reprendre le boulot sans solder leurs congés ? Ils ne sont pas smicards, mais refuser une telle somme est le signe d’un ras-le-bol profond.

Selon l’enquête d’Europe 1, une partie des commandants de bord et copilotes disposent de contrats établis selon la législation irlandaise, l’une des seules au monde qui permet de les employer sous un statut d’indépendant. En France, cela s’appellerait du salariat déguisé. Comme ils ne sont pas salariés, ils doivent financer eux-mêmes leur uniforme, tout comme leurs formations sur des simulateurs de vol (35 000 euros) et leur place de parking à l’aéroport. Une bonne vieille technique qui a plutôt réussi à Michael O’Leary, le PDG de Ryanair, qui « recrute » ainsi depuis 29 ans. Sauf qu’aujourd’hui, ça coince.

Car ces pilotes trouvent mieux ailleurs. L’aviation commerciale se porte plutôt bien, et elle recrute. En CDI en plus. 700 pilotes auraient déjà quitté Ryanair, sur les 4200 qu’« emploie » la compagnie. Un pilote d’A320 qui doit décoller à heure fixe ne choisit ni ses horaires, ni ses clients (et c’est plutôt rassurant). Le boss a beau dire que ses méthodes sont bonnes, pas sûr qu’il puisse continuer comme avant. Ses pilotes en ont marre d’être des Uber de l’air car leur statut est beaucoup plus inadapté à leur job que les chauffeurs de VTC (même si ces derniers ont fait valoir d’autres revendications). De nombreux jobs s’accommodent parfaitement du statut d’indépendant et les artistes, tout comme de plus en plus d’informaticiens, de designers, d’experts marketing ou même d’ingénieurs le revendiquent *.

 Pas les pilotes mutins de Ryanair qui cherchent au contraire à faire reconnaître la relation de subordination. Et rappelle que le statut d’indépendant a du bon quand on est vraiment pas dépendant.

On ne construit pas une entreprise contre ses clients, rappelait l’économiste Léon Walras et sa théorie de l’équilibre général. De la même façon, le cas Ryanair restera peut-être l’illustration qu’on ne construit pas une entreprise contre ses salariés, surtout quand la valeur de ces derniers est reconnue par le marché et que les concurrents les débauchent.

@Syl_DiPasquale ©Cadremploi

Dessin de Charles Monnier ©Cadremploi

*« Choisir ses clients », « être libre de son temps ». Telles sont les motivations des free-lance inscrits sur la plateforme HopWork et du collectif OuiShare sondés pour une récente enquête réalisée auprès de 1014 freelances.

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Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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