Quand les retraités concurrencent les séniors

Sylvia Di Pasquale

Il y aurait donc une vie professionnelle après la retraite. Les jeunes seniors dégagés des obligations laborieuses nourriraient depuis quelques temps une forte propension à s'en retourner au bureau. Pour boucler des fins de mois plus difficiles qu'au temps du boulot à plein temps, ou pour éviter de tourner en rond à la maison. Deux informations récentes ont annoncé l'émergence de ce phénomène.

La première provient d'une société de portage salarial qui annonce, pas peu fière, que parmi ses 3 500 salariés, ceux qui cumulent retraite et emploi partiel auraient doublé en un an, pour atteindre aujourd'hui la centaine. La nature ayant une sainte horreur du vide, une autre entreprise, d'intérim, celle-là, s'est engouffrée récemment dans la brèche. Elle expérimente, pour l'instant dans les seules Pyrénées Atlantiques, une activité spécifique pour ce nouveau type de public. En proposant les services de retraités ex-spécialistes du BTP et du forage pétrolier à des entreprises apparemment ravies.

En lisant ces deux infos, on se dit que si quelques sexagénaires ont du mal à couper le cordon de l'entreprise et trouvent leur équilibre par ce biais, on ne va pas leur lancer la pierre de l'opprobre. Que si d'autres parviennent, grâce à de tels subsides, à améliorer un train de vie quelque peu rogné par une maigre retraite, on ne va pas hurler à l'infamie.

Et puis on écoute les responsables de cette boite d'intérim, n°6 de son secteur et qui, dans une déclaration à l'AFP est d'une lucidité qui ne laisse guère d'illusions quant aux véritables enjeux de l'opération. « Les entreprises peuvent employer des personnes très qualifiées à un coût moins élevé que pour un senior lambda ». Une simple phrase et la manière d'observer les 300 000 « cumulards » décomptés par le Conseil d'orientation des retraites dans son rapport 2006 peut s'en trouver changée. C'est que jusqu'à ce jour, on s'imaginait que les entreprises ne voulaient pas des seniors, jugés trop bougons, trop grisonnants, pas assez corvéables et pas suffisamment branchés nouvelles technos.

On avait tout faux, comme le gouvernement lui-même se fourvoyait dans sa récente campagne « je suis quinqua et je joue mieux à la Nintendo que toi espèce de jeune ». En fait ce qui turlupine les entreprises, ce n'est ni l'âge, ni les compétences, ni le dynamisme des quinquas : c'est la retraite qui arrive. Voilà des DRH qui doivent embaucher, parfois à grands frais, des gens qui vont les lâcher dans 3, 5, ou 7 ans et qu'en plus de leur offrir un pot de départ, il va falloir indemniser. Mais avec des seniors intérimaires ou free lance (grâce aux boites de portage), ce problème est réglé.

Du coup, nos cumulards ont toutes leurs chances. Surtout qu'il est inutile de leur faire le coup de la surenchère financière, puisqu'ils disposent déjà d'un autre revenu. Quant aux quinquas qui cherchent du boulot pour de vrai, ils risquent de se faire concurrencer par leurs aînés. Et risquent de devoir attendre leur retraite, même anticipée, pour retrouver un semblant de travail.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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