Aïe, les grandes écoles en prennent pour leur grade

Sylvia Di Pasquale

Aïe, les grandes écoles en prennent pour leur grade

« Il y a environ 13 000 écoles de commerce dans le monde. C’est 13 000 de trop. Et j’en sais quelque chose, j’y ai enseigné pendant vingt ans. » Ceci est le point de vue de Martin Parker, prof défroqué, qui a lui-même enseigné dans quelques-unes de ces institutions.  Il a décidé de tirer un trait sur ses 20 ans de carrière et l’a fait à la sulfateuse dans une tribune livrée la semaine dernière au Guardian,  intitulée Why we should bulldoze the business school.

Au sein de l'école de commerce, le capitalisme est supposé être la fin de l'histoire, un modèle économique qui a éclipsé tous les autres, et qui est maintenant enseigné comme une science plutôt que comme une idéologie.

[Martin Parker]

Au même moment, de ce côté-ci du Channel, Jean-Louis Borloo, dans son rapport sur les banlieues * remis au Premier ministre, rêve d’une « académie des leaders », une sorte d’ENA bis, accessible sur concours, sans aucun diplôme, et destinée, dans un premier temps, aux jeunes des quartiers en difficulté.

Nous sommes un pays qui a rétréci sa diversité des élites. C'est le drame de l'entre-soi. D'où l'urgence et la nécessité de faire émerger une nouvelle élite (…), sans l'opposer à l'autre, mais en la fertilisant.

{Jean-Louis Borloo dans une interview au Monde]

Reste que, dans un cas comme dans l’autre, on retrouve la même volonté d’en finir avec un ordre établi, ou plutôt de disrupter un système, pour parler le 2018 dans le texte. Ce qui, pour la formation des cadres du privé consiste à appliquer une méthode pas très 2018 et à peu près aussi vieille que l’expression qu’elle recouvre, puisqu’il s’agit de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Quant à la formation des hauts fonctionnaires, la méthode recommandée par le plan Borloo est inverse, mais guère plus efficace. Borloo découvre que l’ENA est une machine à reproduire les élites venues du 7ᵉ arrondissement parisien plutôt que de Bobigny ? Pas de problème : il suffit de créer une école bis réservée aux habitants des quartiers. Résultat : de ce côté de la Manche, on risque d’aboutir à une forme de discrimination, toute positive qu’elle soit, avec un Poulidor de la grande école administrative.

Du côté des écoles de commerce, Mr Parker s’est aperçu, un peu tard, qu’elles produisent des clones incapables de changer de logiciel, de passer à un autre modèle que le capitalisme binaire et triomphant. Soit, alors plutôt que de rénover les modèles d’enseignement, Franklin propose de carrément les supprimer. Former les futurs marketeux, financiers et commerciaux ? Aucun souci : il suffit de réexpédier le colis aux universités qui vont se dépêcher de mettre en place des facs bis sur le mode Dauphine tout autour de la planète.

Des facs bis qui reproduiront les mêmes dérives, un ENA de seconde zone qui marquera ceux qui en sortent d’un fer rouge « quartier sensible » : deux manière de contourner un problème. Mais toujours, on évite de le résoudre.

* Texte intégral du rapport intitulé Vivre ensemble, vivre en grand   – Pour une réconciliation nationale » . « L’académie des leaders, la nouvelle grande école » figure au chapitre 11, à partir de la page 77.

@Syl_DiPasquale ©Cadremploi

Dessin de Charles Monnier

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Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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