Qui a peur de la « taxe senior » ?

Sylvia Di Pasquale

À peine la taxe pique-nique enterrée, voilà qu'une autre surgit. Sauf que la nouvelle venue ne risque pas de soulever des cris d'orfraie de la gauche, du centre, ni même d'une bonne partie de la droite. Car celle qui risque très vite d'être baptisée « taxe senior » est assez peu critiquable. On a beau la retourner dans tous les sens, décortiquer le projet de loi qui devrait l'instaurer, on ne trouve pas grand-chose à lui reprocher, puisqu'elle va dans le bon sens. Celui qui consiste à sortir enfin de la sinistre situation actuelle.

Mise en place le 1er janvier 2010, elle soulagera les entreprises de 1 % du montant total de leurs salaires, si elles n'ont pas conclu un accord ou proposé un plan d'actions en faveur de l'emploi des seniors. Un plan qui ne devrait pas se contenter d'enrober un vide sidéral avec une prose verbeuse. Car il devra être chiffré, et contenir notamment les modalités de formation des seniors présents dans l'entreprise et le nombre de quinquas qu'il convient d'embaucher.

En cas de refus, la somme à verser  n'est pas négligeable. À titre d'exemple, pour une entreprise de 1 000 salariés gagnant en moyenne 1 555 euros bruts par mois (le salaire médian français), et sans treizième mois, car on n'est pas chez Nabab & Nabab, l'amende annuelle atteindrait 187 000 euros. Soit l'équivalent de 7 recrutements aux mêmes conditions de rémunération. Si l'entreprise persiste, elle devra verser cette somme à la Caisse nationale d'assurance vieillesse.

Évidemment, tout ce bon argent en moins dans la cagnotte de l'entreprise devrait faire réfléchir quelques DRH qui, jusqu'ici, jetaient un œil plus que dédaigneux sur les CV des cadres seniors Lorsqu'ils daignaient les lire. Les soupçonnant de hurler à la traîtrise gouvernementale, à l'empêchement de recruter du jeunot en rond, et au pistolet sur la tempe, nous nous sommes empressés d'aller leur demander leur avis, histoire de vérifier nos préjugés. Et là, surprise, le discours dominant est à l'inverse de celui que l'on s'attendait à entendre.

La taxe seniors ? « Une excellente nouvelle » pour les pros du recrutement. Ebahi, on leur demande pourquoi. « Car j'aurais enfin un bâton pour faire accepter à mon boss l'embauche de seniors dont il ne veut pas entendre parler », explique cette responsable. Même son de cloche des pros des cabinets de recrutement et du travail temporaire : « C'est peut-être la fin d'un gâchis de compétences invraisemblable. Nous n'avons jamais cessé de présenter des candidats quinquas à nos clients mais nous devenions fatalistes quant à leur sort. »

Ah d'accord, si seulement 38 % des plus de 55 ans sont au boulot, ce n'est pas de la faute des recruteurs, mais de celle de leurs patrons. Manière aisée d'ouvrir le parapluie des responsabilités. Mais ils s'en défendent. « Ça fait un bout de temps que l'on sait que les seniors ont changé. Ils ne sont pas arrogants comme on le dit trop souvent, et comme le pensent nos directions générales. Ils sont très humbles au contraire, et beaucoup ne sont pas plus chers que des cadres plus jeunes ». Voilà donc la clé de ce retour d'affection pour les cadres quinquas : la docilité et le rabais. Évidemment, on aurait préféré qu'ils les choisissent pour leurs compétences, leur expérience et leur implication. Mais entre une catastrophe nationale qui dure depuis trop longtemps et un moindre mal, nous choisirons la seconde option.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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