Recruter hors cadre, chiche !

Sylvia Di Pasquale

Recruter hors cadre, chiche !

Le cyber-criminel est notre ennemi. Et pour que notre grand pays puisse s’en prémunir, le gouvernement vient de produire un petit clip terriblement anxiogène, pour que nous autres innocents nous rendions compte de la gravité de la chose. Dans le même temps, il recrute, via twitter, des geeks capables de lutter contre ce fléau. On encourage la démarche, mais surtout, on ne souhaite pas à nos cyber-généraux de connaître la même galère, et la même pénurie d’embauche, que James Comey.

C’est le directeur du FBI et il était tombé sur un os l’an passé : les mauvaises pratiques des jeunes hackers qu’il souhaitait recruter. C’est qu’une grande majorité de ces « techies » avaient  fumé de la weed, de la beu, de l’herbe (cochez le terme selon les us et coutumes) au cours des trois dernières années. Sûr que dans un pays où, au niveau fédéral, l’usage des drogues douces n’est pas dépénalisé (même si certains États américains l’autorisent), une institution publique ne saurait se montrer tolérante car cela reviendrait, de facto, à autoriser l’usage de cette herbe qui rend nigaud. Sauf que le patron des super-flics américains, se disait prêt à fermer les yeux et les narines sur cette pratique. Parce que le gouvernement accusait en 2014 de gros retards dans la lutte contre la cyber-criminalité et que l’administration Obama souhaitait, coûte que coûte, recruter 2 000 hackers qualifiés pour l’enrayer. Et il se trouve que les fumeurs incriminés faisaient parfaitement l’affaire.

Voilà qui, au-delà des dilemmes du FBI, et de ses problèmes de légalité, pose tout de même quelques questions concernant le recrutement d’entreprises moins touchy et de candidats moins enfumés. Car une fois que le recruteur a vérifié les compétences, le professionnalisme et l’aptitude technique à occuper le poste du candidat qui lui fait face, il lui reste le plus difficile à évaluer.

« À compétences égales, ce qui importe, c’est la personnalité, » jurent en cœur les recruteurs. Oui mais jusqu’où va le tolérable ? Quid d’un comptable affublé de dreadlocks, d’une commerciale habillée de jeans troués, d’un chef de projet tatoué d’un discret "glider" à la base du cou ? Bref, de personnalités qui affichent leur goût pour la marge ? Auront-ils la bonne attitude, la juste nature pour s’adapter à leurs collègues, au cerbère de l’accueil, à leur chef, au DRH, au DG, voire au président, au-delà de leurs seules compétences ?

Ne froisser personne, ne pas nuire à la cohésion du groupe ni à l’ambiance, sans pour autant tomber dans l’illégalité, ou l’immoralité. Car une entreprise n’est pas seulement un cercle de copains où l’on se coopte entre gens de bonne compagnie au nom d’un « vivre ensemble – travailler ensemble » (à prononcer sur fond de musique doucereuse). Alors qu’elle devrait aussi (surtout ?) rassembler des personnalités parfois opposées, mais réunies dans un intérêt commun : faire progresser la boîte. On n’est pas obligé pour autant de recruter des dégénérés doués, des méprisants compétents et des atrabilaires qui font l’affaire. Mais on peut, comme le souhaite le patron du FBI (que l’on ne saurait soupçonner d’avoir adopté la coupe de Bob Marley) s’ouvrir à des candidats très différents de soi. En espérant que nos cyber-généraux frenchy ouvrent eux aussi un tantinet leurs chakras.  

@Syl_DiPasquale © Cadremploi

Dessin de Charles Monnier

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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