Recruteur VS candidat : pas vraiment le même combat

Sylvia Di Pasquale

Ce n’est plus un fossé, c’est une faille spatio-temporelle. Selon une enquête menée par Ipsos* pour le Lab’Ho – la structure chargée des études du groupe Adecco –, que nous avons pu consulter en exclusivité, le décalage entre les recruteurs et les recrutés n’a jamais été aussi énorme. Et encore, parler de décalage est une façon policée de qualifier le conservatisme des premiers et le modernisme des seconds.

Quelques chiffres, pour bien mesurer la distance qui sépare les deux mondes : 71 % des candidats se disent ouverts au recrutement sans CV. En face d’eux, ils ne trouvent que 35 % de responsables RH prêts, éventuellement, à utiliser cette méthode. Quant au recrutement par simulation –  autre méthode innovante qui ravit ceux qui l’utilisent  –, elle est carrément inconnue de 91 % des entreprises. Qui préfèrent le recours aux bonnes vieilles méthodes traditionnelles, par crainte de l’inconnu sans doute.

Autre constat : les entreprises pleurent en chœur de ne pas trouver le profil correspondant à leur fiche de poste. Or l’étude cocktail Molotov du Lab’Ho révèle que 59 % des entreprises abandonnent la recherche du candidat idéal, un ou deux mois seulement après le début du recrutement ! « Une tendance néfaste, qui consiste à fantasmer le recrutement idéal plutôt que de se demander comment améliorer les compétences que l’on recrutera », commente Guillemette de Larquier, économiste et maître de conférences à Paris Ouest Nanterre La Défense qui a participé à l’étude.

Pire, les entreprises voudraient que la prise de poste soit effective, pour un nouvel embauché, 19 jours en moyenne seulement après la publication de l’offre.  « Un découragement d’une rapidité extrême qui […] relève quasi du caprice », alertent les auteurs. La pénurie de candidats a bon dos. Cette impatience expliquerait (en partie) pourquoi 200 000 à 700 000 emplois français, selon les estimations de différentes institutions, ne trouvent pas preneurs.

Cette enquête, à charge contre les recruteurs, sert bien évidemment les intérêts du groupe Adecco, puisqu’elle sonne comme une invitation à externaliser les recrutements à de vrais professionnels (et pourquoi pas au leader du genre) afin de « diffuser une nouvelle culture du recrutement » et des façons de recruter autrement. Mais l’Institut Ipsos a tout de même interrogé 502 recruteurs et 800 candidats. Et l’on ne saurait soupçonner ces derniers de nourrir une quelconque rancœur envers les RH puisqu’ils ont tous été embauchés au cours des douze derniers mois. Quelles que soient les raisons et les sentiments que suscite l’enquête, elle devrait, au moins, secouer les convictions des services RH.

Néanmoins ces derniers sont-ils les seuls coupables ? Il n’y a qu’à observer le conservatisme de certains managers opérationnels qui collent la pression aux RH pour leur trouver « le même, en mieux », un clone qui ressemble aux insiders et bien sûr immédiatement opérationnel. Ce sont les mêmes qui ne veulent pas de ces trucs sans CV, de ces machins par simulation. Et qui exige des offres d’emploi  avec des formules plus stéréotypées tu meurs, quitte à décourager les candidats valables. Un ringard peut en cacher un autre.

Illustration © Charles Monnier

*Enquête Ipsos selon la méthode des quotas menée en octobre 2014, sur un échantillon de 502 entreprises ayant recruté au cours de l’année écoulée et de 800 candidats ayant été recrutés sur la même période. Le rapport d’étude « Recruter, recrutez, recruté(e)s autrement », complétée par des entretiens de témoins/experts et de contributions académiques de chercheurs, paraîtra en janvier 2015.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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