Réseau social, réseau fatal

Sylvia Di Pasquale

La lucidité n'a jamais empêché personne de commettre des bourdes. Prenez ce bon vieux media global qui sait tout sur tout, cette araignée qui tisse la toile de nos intimités : le web que vous êtes justement en train de consulter. Selon l'institut Harris Interactive, 81% des internautes ne font pas confiance aux sites de réseaux sociaux comme Viadeo ou Facebook. Une très large majorité qui devrait donc, en toute logique, ne jamais ouvrir de profil sur ce genre de sites, et s'en détourner comme un locataire de l'Elysée devant la première Princesse de Clèves venue.

Sauf que, selon la même enquête, 60% des internautes jugent qu'il est « impossible de ne pas partager d'informations personnelles sur Internet. » Attendez, les fatalistes. Vous êtes en train de nous dire que le déballage de nos petits faits, gestes, photos de vacances et liste des invités de la teuf d'enfer d'hier soir est une obligation ? Une espèce de loi d'airain du temps du numérique ? Ce sondage, qui n'est qu'un sondage, tendrait à démontrer que les internautes, donc à peu près tout le monde, sont aujourd'hui incapables de différencier vie perso, vie de citoyen et vie de boulot ?

Car c'est, pour l'instant, dans ce dernier cas que le bât blesse le plus. Googliser le nom d'un candidat juste avant qu'il ne vienne passer son entretien fait partie de la routine du recruteur, au même titre que le court sucré de 9h07. En plus, il a tout lu, le recruteur. Les études, les enquêtes, les mémos, les synthèses et les analyses. Et selon 75% des recruteurs, les CV seraient bidonnés. Alors, à l'aide du Net, il va remplir les trous et préciser les approximations.

Le candidat n'a pas évoqué ses opinions politiques ou religieuses dans son curriculum ? Pas la peine. Il lui aura suffit de laisser un commentaire sur le blog de Xavier Bertrand, Olivier Besancenot ou Hervé Hamon (rayer les mentions inutiles), pour que tout le monde en déduise pour qui il vote. De même qu'il suffit que l'un de ses « amis » de Facebook appartienne à la congrégation de Pie XII pour savoir pour qui il prie.

On peut hurler au flicage, à l'ineptie de telle déductions, à l'intrusion du public dans la sphère privée, mais le plus troublant dans cette big brotherisation n'est même plus sa généralisation, mais plutôt son acceptation. Puisque les victimes semblent totalement consentantes. Comme si le Net était tellement indispensable pour assouvir notre énorme besoin de socialisation, que l'on serait prêt à avaler toutes les couleuvres qu'il peut engendrer, ne serait ce qu'au niveau du recrutement.

Une situation d'autant plus troublante qu'au même moment, Yazid Sebag, commissaire à la Diversité et à l'Egalité des Chances, souhaite remettre au goût du jour ce bon vieux CV anonyme. Quant toute l'intimité se retrouve sur la place publique, voilà que le curriculum gonfle son petit torse et tente de résister. Il y a des combats justes et des combats vains. Il y a aussi des combats anachroniques.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 6 avril 2009

(1) Etude réalisée auprès d'un échantillon représentatif des Français âgés de 15 ans et plus, soit 1000 personnes interrogées entre les 11 et 17 mars 2009.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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