Retraite, pépètes et clopinettes

Sylvia Di Pasquale

Qui est le grand gagnant de la loterie et de son tirage exceptionnel « réforme de la retraite » ? C'est le cadre, bien sûr. Puisque tout le monde le dit. En plus, s'il est né avant le 1ᵉʳ juillet 1951, il touche le jackpot. Car dès l'an prochain, tchao les besogneux. Il prendra ses cliques, ses claques, ses 40 et quelques mois d'annuités et se la coulera douce. Grâce à ses complémentaires et au fait qu'il a pu sauter in-extremis dans le dernier train avant le nouveau calendrier. Alors, n'écoutant que son devoir d'informer, la rédaction de Cadremploi s'est mobilisée pour le retrouver. On a imploré tous les saints (Albert Londres, Joseph Kessel et Laurence Ferrari) et on s'est mis en quête de la vérité et du héros du jour.

Première étape : Le Royal, rue Lafayette Paris IXe, encore appelé le-bistrot-d'en-face). Stylo aux aguets et calepin fureteur, on se jette sur le premier grisonnant encravaté qui s'accoude au comptoir. Jean-Bernard est peut-être notre homme. Cadre bancaire, 59 ans et 6 mois. «Désolé, je sors de l'Apec. Licencié depuis quatre ans. Depuis, je n'ai au compteur que quelques missions de transition ». Au moins, à l'Agence pour l'emploi des cadres, Jean-Bernard a appris à dire « transition » au lieu d' « intérim ». Mais pour la retraite, il patientera quelques années de plus, « réforme ou pas ».

Ah, voilà une dame. On ne lui demande pas son âge, on le devine. Elle est docteur en médecine. Mais Sabine, puisqu'elle s'appelle Sabine, n'avait pas le goût du stéthoscope. Alors elle a enchaîné avec un MBA, pour bosser dans l'industrie pharmaceutique. Bonne idée. « Sauf que j'ai commencé à travailler à 30 ans.» Résultat ? « j'ai cotisé 29 ans seulement, car depuis deux ans, on m'a remercié ». Sabine est polie.

On commence à désespérer du stylo quand on croise Christian, l'air ravi de celui à qui tout réussit. Effectivement il est content. A 58 ans, il est en poste. « En CDI, le bonheur. Enfin un employeur qui fait confiance aux seniors ». Surtout après 3 ans de chômage. « Mais comme j'ai commencé à bosser à 25 ans, après la prépa, l'ESC et les stages, je n'ai que trente ans de cotises ». Zut et rezut. Trois tentatives, trois échecs.

On s'accroche, on intercepte tous ceux qui passent, on débusque un commissaire de police - mais on cherche des privés -, un architecte - mais on cherche des salariés - et un auteur de bandes dessinés - mais on refuse les super-héros.

Alors on referme le calepin, on rentre au bureau et on repense à Christian, Jean-Bernard et Sabine. Notre drôle de panel de seniors pas vraiment exceptionnels. Car la majorité de ceux qui voudront partir à la retraite à 62 ans n'ont plus d'employeur à qui déposer leur demande. Certes, avec cette réforme des retraites, les cadres qui auront la chance d'être en poste à la fin d'une carrière sans heurts seront mieux lotis que leurs copains qui auront perdu leur job. Qui eux-mêmes seront moins à plaindre que les ouvriers qui auront accumulé les contrats précaires et les périodes de chômage.

C'est Danièle Karniewicz qui nous le dit, dans le portrait que lui consacre Libération ce week-end. Elle préside la Caisse d'assurance vieillesse et milite à la CGC (Confédération générale des cadres), le seul syndicat favorable au report de l'âge de la retraite. Elle sait donc de quoi elle parle quand elle affirme que la « retraite n'est pas là pour corriger les injustices de la vie. » La réforme en cours non plus, apparemment.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 28 juin 2010

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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