
Les cadres n’ont jamais été aussi nombreux, et pourtant ils sont peut-être les derniers de leur espèce. Le fameux statut cadre français semble devenir la cible des réformes simultanées : celle de la retraite, celle de la formation mais aussi celle des indemnités chômage. Des assauts répétés qui pourraient bien inciter les employés en pleine évolution et les jeunes diplômés à se dire : à quoi bon ?
C’est que, jusqu’à présent, devenir cadre correspondait à certains avantages. Certes avec des cotisations plus lourdes sur le salaire, mais qui étaient compensées par une retraite plus élevée à l’heure de raccrocher. C’était sans compter avec la fusion des caisses de retraite complémentaires depuis le 1ᵉʳ janvier dernier, qui risque d’émousser cet avantage. (Lire notre article Retraite complémentaire : ce qui change pour les cadres depuis le 1er janvier 2019). Du coup, à quoi bon ?
L’autre avantage du statut cadre, était lié au garde-fou qu’il procurait en cas de perte d’emploi : deux ans d’indemnités chômage à taux plein, ce qui, pour les seniors, premières victimes des dégraissages, était une garantie de pouvoir se retourner vers une autre activité, ou de se laisser le temps de retrouver un job. Car l’on sait que le plein emploi que connaissent les cadres, avec seulement 3,5 % de cols blancs sans emploi, ne concerne pas les quinquas, ou si peu. Mais la réforme à venir pourrait raboter ces deux années du moins les rendre dégressives. Si elle n’abaisse pas le plafond des indemnités maximum en deçà du montant qu’ils pouvaient espérer toucher jusqu’à présent (voir notre article Les allocations chômage des cadres sont-elles menacées ?). Du coup, à quoi bon ?
D’accord, les cols blancs sont perdants sur leur retraite et sur les éventuelles indemnités qu’ils pourraient percevoir s’ils perdent leur emploi. Mais tout de même, le bon vieux statut leur assurait de bonnes formations, ce qui, en ces temps de révolution digitale, permet de rester dans la course. Dans sa boîte actuelle ou ailleurs. Mais la réforme de la formation venant, et le législateur s’apercevant que les cols blancs sont mieux et plus souvent formés que les autres, a décidé de déshabiller Paul pour rhabiller Pierre. Au lieu de saper tout le monde comme jamais (Lire notre article Big bang de la formation professionnelle : et les cadres dans tout ça ?). Du coup, à quoi bon ?
Avec ces trois coups de canif au statut des cadres, qui peut bien continuer à le défendre ? Les employeurs y verront toujours un contrat en or et voudront continuer à octroyer ce graal de plus en plus fantoche. Car il possède une qualité unique : le forfait jours. Grâce à lui, peu importent les 35 heures, les heures sup, les contraintes horaires et mêmes journalières. Une carotte magique qui ne coûte pas bien cher : à peine quelques jours de RTT supplémentaires. Sauf que les entreprises en question vont désormais ramer pour convaincre leurs employés d’adopter ce statut éclopé, comme elles vont ramer pour attirer des candidats, surtout les plus jeunes, qui se ficheront comme de l’an 40 d’être « cadre », si aucun avantage ne compense les inconvénients.
Alors, pour convaincre, les recruteurs pourraient bien faire la danse des sept voiles, avec une compensation salariale par-ci et une belle voiture de fonction par-là. Et au final, cette révolution du statut ne fera que des perdants : les entreprises qui verront leur masse salariale exploser, les cadres qui voient déjà leurs avantages ventilés, et même le pouvoir qui avait trouvé, au moment des élections, le cœur de son électorat parmi les cols blancs et qui risque de bouder. Du coup, à quoi bon ?
@Syl_DiPasquale ©Cadremploi
Dessin de Charles Monnier
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Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.